samedi 27 juin 2015

Présentation MUSICONIS au Congrès “Music Research in the Digital Age” de l'International Musicological Society (IMS)

MUSICONIS  à la  Juilliard School de New York
International Association of Music Libraries, Archives and Documentation Centres (IAML) International Musicological Society (IMS) USA 21–26 June 2015,
Presented by the IAML/IMS Programme Committee
Chair: Dorothea Baumann (Secretary General, International Musicological Society; PD Emeritus,
University of Zurich)

Billiet, Frédéric (Professor of Musicology, Université Paris‐Sorbonne, France; Principal Investigator, Musiconis project), Xavier Fresquet (Associate researcher, Musiconis project, Université Paris‐Sorbonne, France)

Musiconis: Visualizing and indexing the medieval soundscape

Vasco Zara (Maître de conférences, Université de Bourgogne; Associated member, Centre d’études
supérieures de la Renaissance, Université François Rabelais, Tours, France)
3D for ancient music (and new pedagogy)

Anna Zayaruznaya (Assistant Professor, Department of Music, Yale University), Rebecca Fiebrink
(Lecturer in Computing, Goldsmiths College, University of London)
The Roman de Fauvel as synthetic digital object




samedi 20 juin 2015

Saint François d’Assise et l’ange musicien Musique, iconographie et vie spirituelle dans la tradition franciscaine, par Fabien Guilloux

Séminaire L’iconographie musicale et l’art occidental
IreMus-INHA
Compte-rendu
Séance du 18 février 2015

Introduction
A l’occasion de cette séance du séminaire, Fabien Guilloux – musicologue, spécialiste de la culture musicale dans les milieux conventuels et monastiques à l’époque moderne – propose une synthèse des recherches qu’il a effectuées au sujet des représentations iconographiques de Saint François d’Assise. Il a ainsi publié, en 2010, une monographie intitulée Saint François d’Assise et l’ange musicien. Thème et variations iconographiques dans les collections du Museo francescano de Rome1, ainsi qu’un article paru en 2012 et nommé « Saint-François d’Assise et l’ange musicien. Un topos iconographique et musical chrétien »2.
Son intervention traite d’une large période qui s’étend du XIVe au XVIIIe siècle. Il s’agit premièrement de présenter un peu le catalogue des œuvres picturales et ensuite de s’interroger sur le sens, l’usage et les raisons d’être de l’image ici étudiée. Avant d’entrer en matière, M. Guilloux rappelle qu’il adopte le point de vue de l’historien, que son analyse s’inscrit dans une perspective de philologie musicale et qu’il expose, à la manière humble et honnête de l’historien Henri-Irénée Marrou, son interprétation propre de l’iconographie avec toutes les limites que cela présuppose. Citant ce dernier, Fabien Guilloux propose ainsi, avec humour, de nous faire partager l’objet de ses « insomnies ».

Corpus, catalogues, présentation de l’image
Le corpus des œuvres concernées comporte plusieurs centaines d’images et se compose d’un grand nombre de variantes. Les dénominations attribuées aux œuvres sont donc très variables et afin de les englober toutes, Fabien Guilloux propose l’intitulé le plus large possible : « Saint François d’Assise et l’apparition d’un ange ». C’est une représentation importante de l’époque moderne marquée à la fois par une omniprésence géographique en Europe entre 1580 et 1800 et par un ensemble comparable aux images de Sainte Cécile et du roi David. Enfin, elle s’inscrit parfaitement dans les rapports qu’entretiennent la musique et le divin.
Les sources principales proviennent du Musée Franciscain de Rome. Il faut aussi mentionner les bases de données documentaires Iconclass, Euterpe et le RIdIM3. De même, Fabien Guilloux propose un modèle de fiche iconographique très utile pour inventorier les images.
Carlo Saraceni (1580-1620),
Saint François d’Assise et l’ange musicien (1620).
Huile sur toile (243,5 x 167,4 cm). Munich, Alte Pinakothek (Inv. 113)
Les images traitent d’un épisode marginal parmi les récits de la vie de Saint François d’Assise. Alors que le saint médite sur les vanités du monde (cf. la présence du crâne posé sur la table dans l’exemple de représentation ci-contre), un ange musicien lui « apparaît ».
Ce tableau est une image spécifique qui s’inscrit dans les visions et extases de la peinture post-tridentine, mais il constitue une bonne entrée en matière. Se pose alors plusieurs questions : Quelle est la provenance de cette image topique ? Quelles sont les images préexistantes ? Quels sont les récits oraux ou écrits qui l’inspirent ?
Par ailleurs, Saint François voit-il l’ange ou ne fait-il que l’entendre ? L’image étant « inaudible », comment produit-elle une forme de métaphore du son ?

Origines, usages, sens et raison d’être de l’image
Les premières images datent du XIVe siècle et sont créées au sein de la cours pontificale d’Avignon. Pour adopter un point de vue un peu plus large, M. Guilloux présente sept images – deux appartenant à l’Atelier avignonnais (ca. 1330), une appartenant à l’Atelier germanique (1516), une appartenant à l’Atelier italien (post. 1344), deux appartenant à l’Atelier ombrien (ca. 1330-1350 et 1457) et une attribuée à Sybilla von Bondorf (Freiburg im Breisgau, ca. 1470). La plupart de ces images illustre l’ouvrage Legenda maior (1262) de S. Bonaventure. En apparence assez standardisées, ces images présentent des particularités distinctes : espace clos le plus souvent mais parfois ouvert ; position de Saint François sur son lit ; place, position et nombre d’anges ; références spécifiques (l’eau changée en vin par exemple).
Les récits relatant cet épisode de la vie de Saint François constituent un ensemble complexe qui explique pour une part la complexité des images. A cela s’ajoute les controverses sur l’interprétation des visions (les saints peuvent-ils avoir des visions de leur vivant ?). A travers les récits, on peut retracer une « généalogie » de l’épisode – cf. schéma ci-dessous – depuis des sources datant probablement du XIIIe siècle, parfois anonymes, et dont les principaux relais sont Thomas de Celano (1246-1247), S. Bonaventure (1262) et Frère Jean (1369-1374) ainsi que la Compilation d’Assise (ca. 1310-1312) et le Delle Sacre Sante Istimate di S. Francesco (1350-1400) lui-même inspiré du De conformitate (1385-1399) de Barthélémy de Pise.
Ces sources présentent, à travers ces filiations, des différences non exemptes, parfois, de la recherche d’une « version officielle » (en témoigne l’ordre donné, à partir de 1266, de détruire toutes les versions antérieures au récit de S. Bonaventure). Par exemple, alors que les premiers récits présentent cet épisode sous forme de l’audition d’une cithare – Saint François, à proprement parler, ne « voit » rien –, les récits de Frère Jean et surtout celui du Delle s. Istimate (écrit en toscan et dont il ne persiste aucune version latine antérieure) se distinguent des autres par la mention d’une viole et à travers l’histoire d’une véritable vision : « […] il lui apparut tout à coup un Ange d’une très grande splendeur, qui tenait une viole de la main gauche et l’archet de la droite ; et comme saint François demeurait tout frappé de stupeur à la vue de cet Ange, celui-ci passa une fois l’archet une fois l’archet sur la viole ; […]4 ».
A la manière des récits, les images changent peu à peu de statut. Passant de la miniature et du livre à la fresque ou au tableau, l’image se fait mixte en mêlant narration et icône. Ainsi, dans le tableau de Paolo Piazza, dont la seule représentation qui nous reste est celle de Raphaël I Sadeler5 (1604-1606), Saint François n’est plus représenté dans sa chambre mais dans l’infirmerie du monastère et l’image se charge de symboles chrétiens. Elle se fait aussi parfois initiation spirituelle comme dans la représentation de Philipp Galle6 (1587) mettant en scène Saint François face au démon et divers épisodes de sa vie dont l’apparition de l’ange.

Au cours de la période 1580-1620, de nouvelles images apparaissent dans le milieu romain. Et l’on peut alors affirmer que l’épisode de l’ange musicien remplace l’image de Saint François recevant les stigmates. Dans le tableau de Francesco Vanni (ci-contre), le saint est représenté comme le « père du désert » ayant résisté à la tentation et l’ange accorde son instrument rappelant le topos de l’accord mystique. Peu à peu est introduit ainsi le motif de la « consolation angélique » comme dans la représentation du Caravage (ca. 1594-1595)7.
Francesco Vanni (1563-1610),
Saint François d’Assise et l’ange musicien (ca. 1592-1595).
Gravure au burin (23,4 x 17,7 cm).

Conclusion
Ainsi, à travers ces images, Saint François s’affirme peu à peu comme le fondateur de l’ordre franciscain. L’épisode de l’apparition de l’ange constitue une allégorie de la vie spirituelle, l’image étant d’ailleurs parfois présentée au sein même de l’église, en son cœur, comme lieu métaphorique d’une intériorité spirituelle vivante à conquérir. En témoigne par exemple les Canti spirituali (1664) de Carlo da Sezze, poème religieux, ainsi que les commentaires écrits la même année et intitulés Camino interno dell’anima (1664) dans lesquels l’auteur fait parler l’ange musicien.

Questions

  • Martin Guerpin : ce que l’on apprend de nouveau à travers ces recherches.
  • Catherine Deutsch : le dialogue musical : comment rendre l’audible (à travers un oratorio par exemple) ?
  • Isabelle Marchesin : un lien iconographique et musical qui figure une transition d’un lieu à un autre (terrestre / céleste).
  • Florence Gétreau : il serait intéressant de réaliser une cartographie des œuvres afin de répondre à la question « pourquoi de nouvelles images à Rome entre 1580 et 1620 ? ».
  • Laurent Guillo : l’épisode représenté fonctionne à la manière d’un phénomène physique. L’extase est un changement d’état et la musique est la condition particulière de ce changement d’état.
  • Théodora Psychoyou : que peut-on déduire de l’accord de l’instrument par l’ange ?
  • Vassili Ptakhine : pourquoi passe-t-on au topique de la consolation angélique ? A relier avec le topos du christ mis au tombeau (cf. Pauline Askew).
  • Isabelle Marchesin : en guise de conclusion, rappelons qu’un même lieu ou thème peut avoir des interprétations extrêmement différentes.




Vassili Ptakhine
Professeur agrégé de Musique
Etudiant en Master II de Musicologie
(Paris IV)
1 Voir Fabien Guilloux, Saint François d’Assise et l’ange musicien. Thème et variations iconographiques dans les collections du Museo francescano de Rome, Rome, Istituto Storico dei Cappuccini, 2010.
2 Voir Fabien Guilloux, « Saint-François d’Assise et l’ange musicien. Un topos iconographique et musical chrétien », Imago musicae, 25 (2012), p. 29-75.
3 Pour ces bases, voir les adresses suivantes (consultées le 2 mars 2015) : http://www.iconclass.org/, http://www.irpmf.cnrs.fr/bases-de-donnees/euterpe/ et http://www.ridim.org .
4 Citation tirée du Delle Sacre Sante Istimate di S. Francesco (1350-1400). Voir I Fioretti di Sancto Franciescho seconda la lezione del codice fiorentino scritto da Amaretto Manelli, L. Manzoni (édit.), Roma, Ermanno Lonscher, 1902, p. 186-187. Voir aussi Saint François d’Assise. Documents. Ecrits et premières biographies, T. Desbonnets et D. Vorreux (trad.), Paris, Editions franciscaines, 1981, p. 1227.
5 Voir Raphaël I Sadeler d’après Paolo Piazza, Saint François d’Assise et l’ange musicien (ca. 1604 et 1606). Gravure au burin (48,8 x 35,9 cm).
6 Voir Philipp Galle et Henri de Vroom alias Sedulius, D. Seraphici Francisei totius evangelicae prefectionis exemplaris admiranda historia (Anvers, [P. Galle], 1587). Gravure au burin (15,3 x 23,2 cm).

7 Voir Michelangelo Merisi da Caravaggio (1571-1610), Saint François d’Assise et l’ange musicien (ca. 1594-1595). Huile sur toile (37 x 51 cm). Oxford, Wadsworth Atheneum Museum, Summer Collection (inv. 1943.222).