mardi 3 juin 2014

Compte rendu du séminaire du 2 avril

La notion de "musicalité" dans la sculpture romane
Sébastien Biay

            Le mercredi 2 avril, lors du séminaire de l'équipe Musiconis, l'historien de l'art Sébastien Biay, est intervenu afin d'évoquer la notion de musicalité dans l'art du haut Moyen Age et de l'époque romane. 
            La problématique dégagée de son intervention s'est cristallisée autour de l'ornemental dans l'image préromane et romane, reprenant ainsi la théorie de l'ornemental élaborée par Jean-Claude Bonne[1]. La difficulté du questionnement sur l'ornemental vient de la place que l'on accorde à celui qui observe l'image. Cette difficulté rejoint l'idée de la place à accorder aux différents éléments qui constituent un objet. Sébastien Biay nous en a fait part en commentant un chapiteau de l'abbaye de Conques représentant une scène musicale, constituée aussi d'éléments annexes, comme les végétaux. On observe alors bien la notion de strates différentes au sein d'une image. Une strate la plupart du temps narrative ou historique, ontologique en somme, et une autre strate ne prenant pas place dans la réalité de la première mais évoluant en parallèle de celle-ci. C'est cette deuxième strate qu'occupe l'ornemental. N'étant pas partie prenante de la scène représentée, quel est le rôle de l'ornemental ? Sa place peut être purement décorative, l'artiste aura pu l'utiliser pour remplir des espaces vides, mais il peut aussi avoir un rôle plus structurel, comme un commentaire non littéral de la scène représentée.
            Quant aux caractéristiques et formes de l'ornemental, les possibilités sont diverses : l'ornement peut être représenté par des formes géométriques, végétales ou même abstraites. Il peut également utiliser différents modes de jeux chromatiques, de contrastes de couleurs et être complexe ou plus simple dans sa construction.
            Sébastien Biay, après avoir évoqué les difficultés de compréhension et d'interprétation que pose l'ornemental à celui qui analyse une image, a ensuite proposé certaines définitions et manières de considérer l’ornemental au sein d'une image. L'ornemental peut être considéré comme un « modus operandi » ayant une fonction structurante au sein de l'image. En ce sens l'ornemental traverse les genres. Il n'est pas nécessairement en marge de la scène. Il peut également s’entremêler avec les éléments figuratifs sans pour autant en devenir un lui-même. Quelle que soit sa position, son rôle est le même ; donner ou recevoir du sens.
Selon Sébastien Biay l’ornemental peut se définir ainsi : tout ce qui interagit avec le monde du signe, par des formes, des rythmes, des nombres, des couleurs, par son interaction de l’extérieur ou de l’intérieur, et sans y perdre son autonomie visuelle.
            À la suite de ces définitions, Sébastien Biay a présenté deux images différentes dans lesquelles, l'ornemental est utilisé en bordure de la scène. La première représente le Lion de Marc[2]. Ainsi un rapport sans contact se crée entre la bordure (l'ornemental), et le sujet (le Lion de Marc), par le jeu des couleurs et des formes. La deuxième est une scène musicale, tirée du psautier Vespasien (ci-dessous). La bordure est en forme d'arcade, faite de motifs ornementaux très riches qui ne pénètrent pas à l’intérieur de la scène. Dans cette scène, l'ornemental structure l'image en trois parties, une partie basse, une partie médiane et une partie haute. Sébastien Biay a évoqué le lien entre l'ornemental et la scène en nous montrant la manière dont les motifs géométriques de l'ornemental devenaient de plus en plus courbes à mesure que l'on prenait de la hauteur dans l'image. Ainsi, l'ornemental qui n'appartient pas à la scène résonne de la structure même de l'image, ou peut-être l'influence. Ainsi, le sens de l'image ne se situe pas dans la somme de la scène et de l'ornemental, mais dans la relation qu'entretiennent ces deux éléments. L'ornemental a donc une fonction symbolique : la partie basse pourrait correspondre aux profondeurs de la terre représentées par les larves, la partie médiane pourrait représenter la terre, le lieu des hommes, et la partie haute pourrait symboliser les cieux, le lieu divin. Cet exemple illustre bien les divers sens que l'ornemental peut attribuer à une image.

Londres, British Library, Cotton MS Vespasian A I, fol. 2-160, Psautier Vespasien, fol. 30. 

            En conclusion la relation scène et ornemental a-t-elle un caractère contingent ou essentiel ? Il est évident que cela dépend du contexte intellectuel. Sébastien Biay nous propose sa vision en tant qu'indexant qui est la suivante : si l'image se développe avec une telle richesse et une telle diversité dans l'Occident médiéval, c'est qu'elle reste ambivalente sur cette question.


Amaury Duret et Alexandre Trinta
étudiants en Master 2 musicologie




[1] Jean-Claude Bonne, « De l'ornemental dans l'art médiéval (VIIe-XIIe siècle) : le modèle insulaire », L'image. Fonctions et usages des images dans l'Occident médiéval. Actes du 6e International workshop on medieval societies, Centre Ettore Majorana (Erice, Sicile, 17-23 octobre 1992), éd. J. Baschet et J.-C. Schmitt, Paris, Le Léopard d'Or, 1996, p. 207-240 (Cahiers du Léopard d'Or).
[2] Dublin, Trinity College, ms. 57, Livre de Durrow, fil. 191 verso.




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.