mardi 29 avril 2014

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lundi 7 avril 2014

Compte rendu du séminaire du 19 mars

La harpe médiévale et l’interprète moderne : sources, reconstruction, accordages.
Benjamin Bagby

           
 Benjamin Bagby est l’un des interprètes majeurs de la musique médiévale. Il nous offre ici son regard en tant que chanteur et harpiste. Depuis plusieurs années, il s'intéresse à la présence de la harpe dans les sources médiévales (iconographie, textes, fragments d'instruments issus de fouilles archéologiques).  

Commentaire du Psautier par Cassiodore,
Durham, Cath. Lib., ms. BII.30, f 81v
            La représentation de la harpe dans l'iconographie médiévale (enluminures de manuscrits entre autres) est aujourd'hui l'une des sources principales d'information. On peut ainsi observer une évolution de la facture de la harpe au fil des siècles. Dès le deuxième quart du VIIIe siècle, une enluminure du roi David jouant de la harpe apparaît dans le Psautier dit de Cassiodore. L'instrument possède alors peu de cordes, six ou sept, toutes de même longueur. La harpe est fixée avec une lanière autour d’une main, ce qui permet à l’instrumentiste d’utiliser ses deux mains pour jouer. Le Psautier de l'Abbaye de Soissons, également du VIIIe (783 – 795), nous montre cette fois un instrument de forme triangulaire, doté de neuf cordes de même longueur. Un siècle plus tard, en l'an 800, une enluminure du Psautier dit Vespasien nous montre le roi David jouant d’une harpe de la taille de son thorax, avec six cordes de même longueur. En plus de sa main droite, le roi David utilise également sa main gauche. Celle-ci joue derrière la harpe, peut-être dans une volonté d’assourdir le son. Au début du IXe siècle, entre 820 et 830, une enluminure du Psautier d'Utrecht nous montre deux harpes de facture différente ; à gauche, une harpe triangulaire plus ancienne et à droite, une harpe plus grande et plus tardive.

            La notion d’accordage de la harpe apparaît à la fin du Xe siècle. On peut ainsi observer, dans le Psautier de Milan, une représentation du roi David accordant sa harpe de cinq cordes avec une clé. Plus tard, le moine Hucbald évoque cette question de l’accordage dans un manuscrit du XIe siècle : une harpe est représentée avec six cordes, sur chacune d’elle est indiqué « T » (ton) ou « S » (demi-ton). On obtient l’accordage suivant : TTSTT. Les syllabes d’un chant grégorien sont placées sur les cordes. On obtient ainsi une sorte de tablature où l’instrument est utilisé pour visualiser les sons. Toutefois, nous ignorons si cet accordage était généralisé ou s’il était propre au milieu monastique où il était utilisé. Les cordes de harpe telles que nous les connaissons aujourd’hui (cordes graves plus longues que les cordes aiguës) n’apparurent qu’aux Xe/XIe siècles. Auparavant, les cordes de l'instrument étaient de même longueur. A la fin du XIe siècle, le Lectionnaire de Reichenau nous montre le roi David jouant d'une harpe triangulaire, où les cordes sont de longueurs différentes.   

            L'étude des textes médiévaux est également une source importante d'information. Le manuscrit de Beowulf datant du début du XIe siècle (mais renfermant probablement des textes du VIIIe siècle transmis par tradition orale) nous donne des informations quant à l'utilisation de la harpe à cette époque : « […] là, s'élevait le son de la harpe », ou encore « s'élevèrent chant et musique […], le jeu du plaisant bois de la harpe ». Dans un manuscrit Islandais du VIIIe siècle, on retrouve des informations quant à la technique de jeu : « […] de ses mains, touchait les cordes de la harpe ». Dans cette Edda poétique (Atlakvida 32), les mots confirment les images : les deux mains servaient au jeu. Aux environs de 1050, dans le Sextus Amarcius Gallus postratus (Sermones, Speyer), on retrouve des informations quant à la facture de l'instrument : « […] il posa ses affaires, et tira sa lyre de son étui en cuir de bœuf. », « […] il laissait courir ses doigts sur les cordes en boyau de mouton. », « […] mélodieuses, elles sonnaient tantôt avec douceur, tantôt bruyamment, et il les accordait souvent à la quinte. ».

Reconstitution de la harpe retrouvée
sur le site mérovingien
            Il ne nous reste aujourd’hui que peu de harpes du Moyen Age. Quelques fragments ont été découverts lors de fouilles archéologiques et sont conservés dans les musées. Ces fragments constituent une base pour reconstruire ces harpes disparues. Ils témoignent de la facture de l'instrument à cette époque. Monsieur Rainer Thurau est passé maître dans l’art de la reconstruction de ces harpes. En 1985, il a ainsi reconstitué une harpe historique à partir de fragments du VIIIe siècle trouvés lors de fouilles archéologiques à Oberflacht, en Allemagne. Il s’est appuyé pour cela, entre autres, sur les fragments trouvés, leurs analyses chimiques et sur les images des manuscrits de l’époque. Il a également reconstitué une harpe datant de 580, découverte dans la ville de Trossingen (Forêt Noire, Allemagne) en 2001, dans un tombeau mérovingien. La harpe découverte à Trossingen nous est parvenue intacte grâce à la composition chimique du sol. Cette harpe est couverte de dessins gravés présentant des défilés de guerriers au recto, et des motifs de tresses ornementales au verso. Cette découverte a permis aux chercheurs, ainsi qu'aux musiciens, de rendre compte de la facture de l'instrument médiéval, mais aussi de son jeu. Ainsi, deux trous apparaissent sur les bras de l'instrument ce qui semble confirmer l'usage de la lanière qui libère les deux mains pour le jeu. Des résidus de cuir ont été trouvés lors des fouilles, venant soutenir cette hypothèse.

Harpe réalisée par Thurau
            Toutes ces recherches pluridisciplinaires, permettent aujourd'hui au musicien de se rapprocher de la performance dite « historiquement informée ». En s’appuyant sur toutes les informations issues de l’étude de l'iconographie, des textes, de l’archéologie, ou de la reconstitution, on peut aujourd'hui affirmer que plusieurs techniques de jeu sont possibles pour la harpe médiévale : main droite seule, main droite et pouce de la main gauche sur deux cordes, les deux mains, ensembles ou la main gauche étouffant les sons. Mais, si les techniques de jeu sont plurielles, qu'en est-il des limites de l'instrument ? C'est là que la question de l'accordage est très importante. Benjamin Bagby a pu déceler, avec les traités, mais aussi avec sa propre expérience du répertoire, plusieurs manières d'accorder l'instrument. Tantôt à la quarte, à la quinte, tantôt en octave entre la note la plus aiguë et la note la plus grave, donnant ainsi des possibilités différentes selon les besoins musicaux. Pour un répertoire, tel que celui de Beowulf, le jeu nécessite un accordage confortable et très stable, car cette épopée dure environ quatre heure et demie. D'autre part, il ne faut pas oublier que les conditions de jeu aujourd'hui sont très différentes de celles de l'époque. Ainsi, pour le musicien moderne, des concessions à la modernité sont presque obligatoires dans la reconstruction des instruments. En effet, les dimensions des salles de concert actuelles requièrent des instruments plus sonores. Ceci va avoir une incidence sur le choix des cordes : l’interprète moderne peut souhaiter s’orienter vers des cordes synthétiques plus stables (nylon, nylgut) et non plus en boyau. Un instrument plus solide offrira également une meilleure stabilité et sonorité. Le luthier Rainer Thurau a ainsi réalisé une harpe historiquement informée mais également adaptée aux conditions actuelles de concert, plus large, en érable et avec des cordes en nylgut (synthétiques, mais plus proches du boyau).


                                                               Isalyne Delabrousse & Pauline Djian
étudiantes en Master 2 musicologie


Ouvrages cités:
- MARCHESIN, Isabelle, L’image organum, La représentation de la musique dans les psautiers médiévaux 800-1200, Brepols, 2001.
- SEEBASS, Tilman, Musikdarstellung und Psalterillustration, Bilband, 1973.

Sites internet :

dimanche 6 avril 2014

Compte rendu du séminaire du 5 mars

Musique et Architecture : iconographie d'une rencontre
Vasco Zara


Castel del Monte

• Résumé de l'intervention :            
Vasco Zara, maître de conférence en musique ancienne et chercheur à l'université de Bourgogne, a réalisé une tesi di laurea  ainsi qu'un doctorat autour de la relation entre musique et architecture au Moyen-Âge et à la Renaissance, en analysant un édifice du XIIIe siècle et les écrits de René Ouvrard (1624-1694). D'après Otto Von Simson[1], ces deux disciplines seraient considérées comme des sciences-sœurs par saint Augustin. L'art musical et l'art architectural sont régis par des lois mathématiques et arithmétiques ainsi que par la répétition constante de schémas et de figures. Leur lien, souvent mal interprété, apparaît comme une « mystifiante traduction sonore des mesures architecturales[2] ». Vasco Zara s'appuie sur l'étude de Castel del Monte, château situé dans le sud de l'Italie, dans les Pouilles, commandé par Frédéric II de Hohenstaufen, empereur du Saint Empire Romain Germanique, en 1240.
            « Castel » de l'italien « château », ce terme ne convient pas à l'édifice. La forme octogonale, l'absence d'un système de défense médiévale – notamment l'escalier hélicoïdal pensé à l'inverse pour se défendre à la descente – ainsi qu'une symbolique omniprésente du chiffre 8 appellent une dénomination autre que « résidence royale ». On pourrait qualifier Castel del Monte de chef-d'œuvre artistique dépourvu de finalité fonctionnelle. Le chiffre 8 concerne tous les arts du quadrivium, notamment l'astronomie : la construction par analemme de l'architecture de Castel del Monte, c'est-à-dire une construction pensée selon la position du soleil, révèle la forme d'un huit au sol. La place de la musique se retrouve « dans l'architecture nue et crue[3] », à l'extérieur du château. Ainsi, l'agencement des portes et des fenêtres forment une représentation exotérique de l'Harmonie des Sphères.
            Ainsi, par l'étude de Castel del Monte, Vasco Zara a démontré que les arts musical et architectural peuvent être intimement liés, non pas de façon ésotérique, mais dans le cadre d'une conception mathématique finement pensée et étudiée. L'architecture et la musique suivent un chemin parallèle en temps que sciences du nombre. Nonobstant, Saint Augustin n'a jamais écrit qu'il s'agissait de « sciences-sœurs ». Vasco Zara a également souligné les dangers occasionnés par les risques d'interprétation abusive des nombres et proportions, et cite à ce propos, plusieurs ouvrages antérieurs. Il prône la vérification préalable des sources primaires, dans l'optique d'une meilleure scientificité du sujet.


Matthieu Dupont & Fatine Garti
étudiants en Master 1 musicologie



[1]Voir Von Simson, Otto, The Gothic Cathedral, New York, 1956.
[2]Voir l'article Zara, Vasco, « Musique et Architecture : théories, composition, théologie (XIIIe-XVIIe siècles) », Bulletin du Centre d'Etudes Médiévales, Auxerre, 2007 XI, §1 disponible sur http://cem.revues.org/1178#ftn2
[3]Ibidem.