lundi 6 mai 2013

Compte rendu de la journée d'étude sur le Silence au Moyen Âge

Saint-Pierre martyr, Fra Angelico, Couvent San Marco, Florence
Compte rendu de la troisième journée d'étude internationale organisée par les JCM, "Respondrai com calarai me"
Représentations du silence au Moyen Âge, Université de Genève, 3 mai 2013

L'idée de travailler sur la représentation du silence dans les textes et les images est venue de l’étude d’un dialogue entre deux troubadours : Albertet de Sisteron (1194-1221) et Aimeric de Péguilhan (vers 1175-vers 1230). Ces deux poètes ont ainsi eu un débat sur la difficulté de parler de ce qui est indicible : le silence, permettant néanmoins la naissance de la voix par le texte et qui sous-tend la musique.
  Marco Prost (Université de Lausanne) ouvre la première session et la journée d’étude, sur l’art de savoir se taire chez le chevalier en devenir et chez son narrateur, en particulier chez deux héros différents : Perceval et Ipomédon. Le premier apprend à se taire, alors que le second apprend à utiliser un faux discours, passant sous silence ses véritables intentions. Petya Ivanova (Université de Genève) aborde ensuite le silence à la cour arthurienne dans les textes moyen-anglais, notamment chez Malory qui supprime de nombreux épisodes et détails sur la personnalité des héros de la table ronde pour se concentrer sur l’expression des gestes et utiliser le silence des personnages comme un outil à la fois stylistique et signifiant.
Très Riches Heures du Duc de Berry, Musée Condé, f. 26
  La seconde session est ouverte par Sabine Utz (Université de Lausanne) sur le silence impossible et la parole performative dans le cycle hagiographique illustré de saint Romanus ; ce manuscrit, produit dans un monastère carolingien où la valeur du silence était importante, comporte une douzaine d’images illustrant les différents épisodes de la vie et du martyre de saint Romanus dans lesquelles des gestes précis sont employés pour signifier la parole. Or, ces images côtoient le texte mettant en valeur la parole du martyr au détriment de celle des païens. Camille Rouxpetel (Centre Roland-Mousnier, Université Paris-Sorbonne) aborde quant à elle le silence de l’hérétique face au Verbum Dei du missionnaire Riccoldo de Monte Croce au XIIIe siècle en Orient. Originaire de Florence, ce dominicain a écrit sur ses pérégrinations en Terre Sainte et sa rencontre avec les hérétiques Nestoriens et Jacobites, développant la confrontation entre la bonne parole (celle du missionnaire en tant que relais du Verbe divin) et le mutisme des hérétiques (ou leur usage de paroles inintelligibles) refusant la conversion ; le silence induisant alors la victoire du prédicateur.
Hildegarde de Bingen, Rupertsbeger Codex des Liber Scivias
  Inaugurant la troisième session, Daniele Palma (Université de Pavie, Département de Musicologie de Crémone) parle du silence, de la voix et de l’identité dans la théologie musicale d’Hildegarde de Bingen. En effet, le silence et la méditation intérieure ont une grande importance pour la bénédictine qui forge toutefois une expression vocale positive à travers les chants liturgiques, expression du mot de Dieu ; sa musique est dotée d’une identité prophétique dans laquelle l’utilisation de formules musicales exprime l’humilité en même temps que la volonté de retrouver l’ordre harmonique du monde créé par Dieu. Welleda Muller (Université Paris-Sorbonne, ANR Musiconis) examine ensuite les représentations de la musique et de la parole réduite au silence d’une part et de la musique spirituelle non résonnante à l’oreille des hommes d’autre part, notamment dans les enluminures de manuscrits français et les stalles européennes à l’époque gothique ; montrant qu’une sorte de rhétorique du silence s’exprime à travers des signes visuels, en même temps qu’émergent des représentations de la musique des sphères à travers les cohortes d’anges musiciens et chanteurs (bouche fermée) peu de temps avant un changement de paradigme dans les conceptions du monde. Bertrand Cosnet (Université François Rabelais de Tours) présente le silence des vertus à travers les gestes et attitudes des personnifications dans l’imagerie morale du Trecento. En effet, le silence est considéré comme une qualité permettant d’acquérir les vertus de Patience et de Prudence notamment ; le geste de l’index devant la bouche est alors utilisé dans les images en Italie au XIVe siècle, souvent en association avec le joug sur les épaules des franciscains ; toutefois, ce geste évolue et indique plutôt un contrôle de la parole qu’un silence absolu, et acquiert une valeur de modèle.
Miséricorde des stalles de Moudon (Suisse)
 Valérie Cangémi (Université de Lausanne) introduit la dernière session en parlant du silence verbal contre la volubilité gestuelle dans Guillaume de Palerne, à travers l’exemple du loup-garou : humain métamorphosé en loup à cause d’un mauvais sort ou humain en marge de la société, utilisant un déguisement très réaliste de loup. Ces personnages déguisés ou métamorphosés évoquent le décalage entre humanité et bestialité, tout en acquérant une gestuelle non verbale complétant le récit ; la pratique communicative du loup-garou s’affine au fur et à mesure, aboutissant à une réhabilitation de la nature humaine. Enfin, Thibaut Radomme (Université Catholique de Louvain) clôt la journée d’étude en abordant la voie silencieuse de la rédemption ou l’oralité feinte dans les lettres d’Abélard et Héloïse. L’histoire des deux amants comporte en effet à la fois des silences chez Héloïse (acceptation du mariage, entrée dans les ordres et soumission à la volonté d’Abélard), ainsi que des traces d’oralité chez Abélard, qui se pose en prédicateur portant la voix de Dieu.
Welleda Muller
 

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