vendredi 29 juin 2012

Compte rendu des journées d'études "Figure(s) du musicien"


Compte rendu du colloque « Figure(s) du musicien : corps, gestes, instruments en texte »
15-16 juin 2012, Université de Toulouse

Chantres, stalles de Leon (Espagne)
Le groupe « Musique et Littérature : dialogues intersémiotiques » de l’IRPALL existe depuis une dizaine d’années et organise plusieurs séminaires par an, ainsi qu’une journée d’études. La recherche était surtout tournée vers la sémiologie et l'interdisciplinarité, et les responsables scientifiques : Nathalie Vincent-Arnaud et Frédéric Sounas ont décider de faire évoluer cette recherche vers des questionnements sur la figure et les représentations du musicien, de ses gestes, de son corps, ainsi que vers la problématique de la théâtralité de la musique et du concert qui sera abordée à la rentrée prochaine.
            Deux journées d’études ont donc été consacrées à cette nouvelle orientation de la recherche sur le musicien les 15 et 16 juin derniers. Majoritairement axées sur la littérature comparée, ces journées ont néanmoins débutées par l’étude organologico-anthropologique de Gabriel Mardare (Université de Bacau) sur la main et les doigts des pianistes. Il présente ainsi la main comme un organe musical à part entière avec ses spécificités musicales mais aussi sociales. Stravinsky disait par exemple que les doigts n’étaient pas à négliger car ils pouvaient être une source d’inspiration musicale. Et l’écart entre composition et exécution qui est comblé par la médiation corporelle. Gabriel Mardare développe l’idée de la « main pensante » qui n’est pas qu’un outil commandé par le cerveau dans la musique, à la lueur des théories sur la phénoménologie de la perception, notamment de Teilhard de Chardin : il y a une parcelle de pensée partout où il y a sensation. Les travaux de Marie Jaëll sont également intéressants dans cette optique de redécouverte d’une unité entre pensée et sensation. Le « touché » du piano devient une véritable identité musicale, permettant d’exprimer divers registres stylistiques et divers degrés de solennité.
            Cynthia Brésolin (Université Bordeaux III) s’est ensuite intéressée à la trilogie Des femmes de Sophocle (Les Trachiniennes, Antigone, Electre) mise en scène par Wajdi Mouawad qui y a intégré un concert performance d’un chœur de rockeurs mené par Bertrand Cantat. En mettant en scène trois destins issus de la tragédie antique (Déjanire, Antigone et Electre), Mouawad a mis en place un voyage aux temporalités multiples (le présent est le prisme d’un passé malheureux et d’un futur fatal) dans lequel les trois éléments : terre, eau, feu, ont une importance fondamentale. Plusieurs procédés sont intervenus : notamment la déconstruction du langage avec une analogie corps-chœur (le chœur étant en présence continue sur scène) et la visibilité d’une fêlure de l’être. Le décor, délimité par un rail, comportait des éléments à la symbolique puissante (tel le miroir), destinés à déstabiliser le spectateur ou plutôt à lui faire appréhender la réalité de façon nouvelle. La dichotomie et à la fois l’interdépendance entre Dionysos et Apollon, entre Eros et Thanatos, s’exprime ici pour pousser l’homme au-delà de lui-même. Mouawad crée aussi une ligne de fuite, ainsi que des contres-flux qui modifient les corps et portent l’élan vers l’inconnu. La question de la résistance et de la tension est posée à nouveau par cette mise en scène.
Joute au son des nacaires, stalles de Worcester (GB)
            Ouvrant une session sur les tambours, Daniel Huber (Université Toulouse II) présente les différentes occurrences linguistiques relatives aux instruments de percussion (en particulier les membranophones) en vieil anglais et en moyen anglais. Avant 1066, les instruments de percussion sont assez peu présents dans les textes, même s’il est évident qu’ils existaient déjà dans l’instrumentarium ; ainsi la « harpe » est certainement le nom d’instrument le plus récurrent, notamment dans la Bible. Daniel Huber soulève la problématique de la coexistence d’un seul et même terme pour plusieurs instruments de percussion différents. Ainsi, le terme Tympanum que l’on trouve dans la Bible va se doter d’une ambiguïté lexicale, à tel point que l’on ne saura plus si le mot concerne un instrument de percussion ou un instrument à cordes. Les termes daf en arabe et tof en hébreux vont également influencer la langue anglaise en même temps que des instruments d’Asie Mineure seront importés. Pour le moyen anglais, c’est le terme français tymbre qui va s’imposer, rétablissant alors la réalité de l’instrument de percussion. On trouve encore le tabor et les nacaires donnant nakere en anglais. Le contexte des croisades a non seulement introduit de nouveaux instruments de percussion venant du Moyen Orient, mais également des termes spécifiques pour les nommer.
            Vera Vyhnankova (Université de Brno) parle ensuite du motif du tambour dans trois romans de Jean-Marie Gustave Le Clézio : Onitsha, Poisson d’or et Désert. Dans ces trois romans, elle met en évidence le lien entre le tambour et la verticalité dans une quête du centre des personnages. Ainsi, le tambour est souvent frappé du haut d’une montagne ou dans un lieu élevé ; le son du tambour opère alors une connexion entre le ciel et la terre en révélant un univers sacré aux personnages en quête identitaire. Le jeu du tambour et la danse qui l’accompagne sont alors vus comme un dépassement de la condition humaine. Toutefois, la thématique de la guerre n’est pas absente, puisque les bruits de pas des soldats sont comparés au son du tambour. L’Afrique est également évoquée à travers le tambour, dans ses liens privilégiés avec la liberté : l’homme noir retrouve son identité à travers la pratique du tambour et de la danse tribale. De même que les sons du tambour évoquent la terre africaine, ils permettent aussi aux hommes de dépasser leur condition humaine chez Le Clézio.
            Nahéma Khattabi (Université de Poitiers) décrit le musicien Guillaume Costeley comme une figure politique caractérisée par un corps social aristocratique à la fin du XVIe siècle, à travers le recueil de ses œuvres intitulé Musique publié en 1570. Ce recueil comportant une centaine de chansons en français et trois motets en latin semble rassembler toutes les compositions de Costeley. Et ces compositions sont entre tradition et modernité avec l’invention d’airs de cours dans l’héritage de la chanson parisienne. Selon Nahéma Khattabi, cet ouvrage est un ouvrage politique permettant d’expliquer les rapports sociaux à la cour des derniers Valois (et notamment les rapports de clientélisme entre Charles IX et le comte et la comtesse de Retz à qui des sonnets sont dédiés au début du recueil), mais également un élément fondamental pour expliquer le goût musical français au carrefour de plusieurs influences. Les rapports étroits entre Costeley et le pouvoir politique sont également visibles à travers l’institution d’un concours de musique en 1575 à Évreux en l’honneur de Sainte-Cécile pour lequel il fallait composer un motet à cinq voix, une chanson à cinq voix, un air à quatre voix, une chanson légère et surtout un sonnet chrétien, ce qui permettait de soutenir la politique catholique du roi qui était en perte de vitesse en Normandie. En outre les œuvres des lauréats étaient éditées. La chanson spirituelle est ainsi une arme de la contre Réforme pour lutter contre la diffusion du psautier protestant en français. Le geste compositionnel de Costeley était bel et bien un outil politique. Il semble d’ailleurs délaisser la composition pour la maîtrise du contre-point à l’orgue lorsqu’il quitte la cour.
            Inaugurant une session sur André Gide, Anne-Claire Gignoux (Université Lyon II) met en évidence les différents portraits des professeurs de piano que l’auteur a eu lorsqu’il était enfant et qu’il décrit en détail dans son autobiographie : Si le grain ne meurt. Si le romancier répugne à commenter la musique en elle-même parce qu’elle appartient à l’immatériel, il insiste cependant sur la qualité de ses interprètes, en particulier au piano. Dans son autobiographie, il présente ainsi cinq professeurs de piano suivant la même rhétorique et formant par leur confrontation une figure de l’interprète idéal. Dans ces portraits, le corps a une certaine importance, car il évoque la personnalité tout entière : il est insignifiant chez Melle de Gœcklin, envahissant chez M. Schifmacker, admirable chez M. de la Nux. Dans une sorte de système platonicien, la beauté physique va de pair avec la qualité des interprètes. Par rapprochement ou éloignement d’avec les portraits des professeurs de piano, Gide élabore donc un sixième portrait : celui de l’interprète idéal, à la beauté physique et morale, passionné, donnant du sens à la musique.
            Maja Vukusic Zorica (Université de Zagred) justifie quant à elle le fait que la musique soit « une bonne métaphore » dans l’œuvre d’André Gide et plus particulièrement dans ses Notes sur Chopin (Revue Internationale de Musique, 1938). Gide se pose en effet en exégète de Chopin tout en formulant un idéal de l’interprète et en clarifiant sa propre position par rapport à l’interprétation de la musique. Il marque ainsi sa préférence pour l’interprétation plutôt que pour l’audition de la musique ; son désir d’être écouté et vu par un public est important et il fait un éloge de l’amateur en rejetant presque la virtuosité qu’il ne peut atteindre. Néanmoins son admiration pour Chopin semble sans borne et se manifeste par un sentiment amoureux. La rhétorique transforme alors le lecteur en témoin du génie de Chopin. Gide montre sa fascination pour les qualités narratives de la musique de Chopin, dont il fait le modèle pour sa propre écriture littéraire. Érigeant Chopin en modèle et s’identifiant à lui, l’écrivain perpétue le mythe du génie romantique et insiste sur le piano touchant et touché. La musique est donc une bonne métaphore de l’amour dans l’œuvre de Gide, qui développe une mystique de la musique et une poétisation de la vie.
            La première journée d’études est close par Marina Lupishko (Université du Havre) qui présente l’analyse musicale de la 13e Mazurka de Chopin par le poète de l’absurde Daniil Harms (1905-1942). Précurseur de la littérature absurde et musicien amateur, Harms a en effet réalisé une interprétation analytique de la 13e Mazurka, qu’il a tenté de généraliser à toute l’œuvre de Chopin. Il dégage ainsi trois phases : l’accumulation, la coupure et la respiration libre ; cette structure est similaire à la ballade avec une forme sonate très narrative. Cette articulation en trois phases a l’avantage d’expliquer la tension sans résolution propre à la Mazurka créant un caractère dramatique encore renforcé par une ambiguïté tonale. Cette analyse a également marqué l’œuvre de Harms, qui structure ses textes comme une partition musicale, en étirant les phrases, en créant des ruptures et en adoptant une structure circulaire. Malgré l’absurdité du fond, la forme des poésies de Harms dispose de liens logiques intérieurs proches de ceux de la forme traditionnelle de la Mazurka réinventée par Chopin. L’attente de l’auditeur comme du lecteur est perturbée.
            La seconde journée d’études s’ouvre avec une communication d’Anne Lacroix (Université de Perpignan) sur la guitare chez six poètes espagnols ayant marqués l’année 1927 : R. Alberti, D. Alonso, L. Cernuda, G. Diego, F. G. Lorca et E. Prados. La guitare, instrument par excellence de l’Espagne est en effet présente en bonne place chez ces six poètes où elle est un symbole multiple. Évocation de la Vénus par sa forme, elle est aussi symbole de l’eau et par extension des pleurs, du sang et de la mort par sa musique mélancolique, évoquant le peuple gitan. La guitare est d’abord mise en scène pour sa forme et sa structure ; les six cordes sont comparées à six jeunes filles dansant ; la rosace inspire diverses images, comme l’œil du cyclope ; la forme de la caisse évoque évidemment le corps féminin, mais aussi le couple du poète et de la muse enlacé. Ces poètes font également le lien avec les guitares déconstruites du cubisme de Georges Braque notamment. Le son de la guitare quant à lui, est capable d’exprimer la douleur de la séparation ; il est gémissements et sanglots et l’instrument est alors transformé en poitrine déchirée par la douleur. Suivant la même thématique, la guitare fait partie de l’identité du peuple gitan subissant l’oppression et vivant une vie rude et tragique. Associée à l’Espagne, la guitare est érigée en métaphore de la voix du poète engagé.
Summa in jus civile (ms. 0338), f. 121, BM d'Angers
      Welleda Muller (Université Paris-Sorbonne, ANR Musiconis) parle ensuite de la figure du musicien dans l’art gothique en France et plus particulièrement dans les stalles et les enluminures de manuscrits, en s’attachant au corps et aux gestes. Le musicien, ou plutôt le jongleur a un statut polyvalent (musicien, chanteur, conteur d’histoires, danseur, faiseurs de tours) qui est visible dans les images ; son statut de professionnel du geste est mis en évidence, malgré la coexistence de nobles musiciens dans des scènes courtoises. Mais ce personnage fait l’objet de critiques, y compris à travers les images d’animaux musiciens qui renvoient à une satire des instrumentistes jouant de la musique d’instinct sans connaître la théorie musicale. Toutefois, une tentative de réhabilitation du jongleur est menée notamment par les scolastiques qui, tout en dénonçant la « gesticulatio », louent la souplesse et les nombreuses possibilités que Dieu a accordées au corps humain.
            Raphaëlle Costa de Beauregard (Université Toulouse II) inaugure une session consacrée au cinéma en s’intéressant à la voix du piano dans le cinéma classique hollywoodien. Prenant pour exemples : The Dead de John Huston (1987), That Uncertain Feeling de Ernst Lubitcsh (1941) et The Unforgiven de John Huston (1959), elle présente le traitement des différents sons cinématographiques (in, off, hors champ) et tout particulièrement celui du piano avec lequel un jeu de profondeur s’instaure, en particulier dans The Dead. La musique du piano permet également de faire entrer le spectateur dans une autre dimension. Il est intéressant de remarquer que le piano est souvent une entité à part entière et que la figure du pianiste est traitée comme un accessoire. Toutefois, chez Lubitsch, la figure du pianiste est traitée en tant que telle, dans un portrait du pianiste romantique ambivalent, avec une parodie de la leçon de piano. The Unforgiven renvoie à la conquête de l’ouest par les pianos Steinway et l’instrument est alors une figure nostalgique et sociale, qui accompagne les festivités. La musique du piano est aussi mise en parallèle avec la musique des indiens qui s’apprêtent à attaquer les colons et lorsque ceux-ci le détruisent, c’est l’émergence de la musique moderne.
            Laurent Marty (Université Toulouse III) détaille ensuite le passage du Fantôme de l’opéra à The Phantom of the Opera ; du roman de Gaston Leroux, au film tourné par Universal. Alors que le roman avait une approche psychanalytique en traitant l’apprentissage du chant de l’héroïne comme une initiation à la sexualité, la narration est restructurée dans le film pour flatter le nouveau goût pour le fantastique des américains. En effet, The Phantom of the Opera devient le premier d’une série de films d’horreurs, marque de fabrique du studio Universal. La structure narrative complexe du roman est rendue linéaire dans le film et une inversion s’opère dans la symbolique de la musique qui est l’image de la sexualité de l’héroïne dans le roman et qui devient celle de la sexualité frustrée du fantôme dans le film. L’orgue a d’ailleurs un rôle important dans ce processus, car il est la manifestation d’un désir de toute puissance. Laurent Marty remarque qu’il s’agit d’un orgue Wurlitzer qui était utilisé pour la musique du cinéma muet et qui permettait aussi d’effectuer des bruitages ; or cet orgue devient vite l’attribut des monstres au cinéma, certainement parce qu’il leur donnait une illusion de pouvoir sur le monde.
            Revenant à la littérature comparée, Gilles Couderc (Université de Caen) décrit la figure d’Ivor Gurney, un poète-musicien mort en 1937. Connu par ses correspondances (dans lesquelles il écrit de nombreux poèmes) et ses mélodies, Gurney est un artiste itinérant et vagabond, qui considère la mort comme un compagnon de route. Il se sent étranger au monde qui l’entoure et en particulier à sa famille. S’il se rapproche de Schubert par le caractère, il aimerait plutôt être Strauss ou Beethoven pour être capable d’écrire de grandes symphonies. La figure du marin, récurrente dans ses poèmes, permet de mettre en valeur cette thématique de l’errance ; la musique traditionnelle et notamment les chansons de marins ont également une influence sur ses compositions. La musique provoque des visions chez Gurney qui ressent une joie intense en même temps qu’une douleur physique. Dans son œuvre, il oppose Brahms à Schumann, marquant ainsi l’imprégnation de la musique allemande en Angleterre. Mais Gurney est croyant, il va donc chercher un sens à la douleur qu’il ressent ; il fait alors de Bach l’image du père idéal qui auréole la cathédrale de Gloucester.
            Patrick Davoine (Université Lyon II) s’intéresse quant à lui à l’instrumentarium présent dans l’œuvre du poète expressionniste Georg Trakl (1887-1915). Mort à la guerre à l’âge de 27 ans, Trakl montre son rejet de l’humanité pour la reconstruction d’un homme nouveau ; son travail est marqué par le symbolisme et l’hermétisme, mais le lexique musicologique y est très présent. L’insertion de l’instrument de musique est d’ailleurs un véritable choix poétique et son évocation tend vers une abstraction progressive ; le musicien disparaît au profit d’une autonomie sonore des instruments. La mort jouant du violon est toutefois une figure récurrente dans l’œuvre de Trakl avec l’idée de dernière danse ou de danse macabre, évoquée dans le poème intitulé « sonate ». Puis, désolidarisés des musiciens, les instruments accèdent à un statut particulier : ils sont des êtres résonnants intégrés à la nature. Trakl met alors en scène une matière sonore ; l’abstraction et la perte du réel apportant un gain poétique.
            Clôturant la deuxième et dernière journée d’études, Thomas Le Colleter (Université Paris-Sorbonne) s’intéresse à la figure de Mozart chez Pierre-Jean Jouve, en particulier dans le recueil de poèmes Les Noces (1925-1931). Unique référence esthétique jusque dans les années 1930 Jouve, assimile Mozart à la musique elle-même par métonymie. Il écrit plusieurs articles sur le compositeur, ainsi qu’une étude musicologique de Don Juan en 1942. Dans Les Noces, Jouve établit un lien étroit entre musique et mystique sous le double patronage de Mozart et de Jan van Ruysbroek (mystique flamand, auteur des Noces spirituelles écrites entre 1330 et 1336). En effet, selon Jouve, Mozart est l’exemple réalisé de la docte ignorance prônée par les mystiques comme Ryusbroeck ou Nicolas de Cues : il est comme la fleur qui fleurit sans en avoir conscience, en s’ignorant elle-même, et c’est pourquoi sa musique relie le ciel et la terre et élève vers le divin. Mais le génie de Mozart est placé sous le thème de la mort ; Jouve évoque la contradiction entre la nostalgie délivrée et la divine gaité qui meurt captive ; la certitude de la mort sublimant la musique de Mozart.
Welleda Muller

     

lundi 18 juin 2012

Compte rendu du séminaire du 7 juin 2012

Compte rendu du séminaire Musiconis 
La mise en voir du Verbe

Introduction, Isabelle Marchesin :
La réflexion sur la mise en relation de la notation musicale et de l’image est à la base de ce séminaire organisé dans le cadre de la 9e édition des Entretiens sur la musique ancienne en Sorbonne. En effet, l’émergence des signes musicaux notés dans les manuscrits indique une mise en forme de la voix et non pas de la note.

Miracles de Notre-Dame, Gautier de Coinci,
The Hague KB 71A24
Claire Chamiye (Doctorante, Université Paris-Sorbonne), Mémoire, lieu et image dans les chansons de dévotion de Gautier de Coinci :
La problématique de la mémoire et son lien avec la composition fut à la base du développement de cette communication. La chanson de Gautier de Coinci se présente comme un monument architecturé, présentant une technique mémorielle des lieux et images. En effet, les techniques mémorielles médiévales impliquent une façon de copier les textes pour une meilleure mémorisation. Chaque parcelle de texte avait une place dans la page, un locus, lieu mémoriel par excellence. L’espace de la page fixait alors la mémoire du texte grâce à la mémoire visuelle. L’image avait donc une importance fondamentale dans la mémoire et le procédé d’organisation du texte dans un but mémoriel était le même pour la littérature et l’art lyrique. Deux procédés étaient utilisés pour la mémorisation du texte : la divisio en courtes séquences, et la collatio, c’est-à-dire l’intégration du texte en l’amplifiant dans la mémoire de l’érudit. Le terme de collatio vient d’ailleurs précisément de la pratique de la lecture collective par les moines, qui était suivie d’un repas léger (une collation). Le florilège monastique permettait une mise en commun de plusieurs textes et donc de plusieurs notions ; les moines se nourrissaient du texte tout en nourrissant leur corps. Ensuite, un autre processus intervient : la ruminatio, par laquelle l’érudit se remémore les divers éléments qu’il a lu et entendu ; ceci mettant en place une véritable continuité de la lecture de la parole divine.
Claire Chamiye dégage alors une composition mémorielle dans les chansons de dévotion de Gautier de Coinci en suivant une métaphore architecturale en termes de loci et d’imagines (les premiers servant de cadre aux secondes). Et cette composition mémorielle comprend l’inventio, la divisio et la collatio ; c’est-à-dire le rassemblement et la structuration des matériaux de la mémoire pour composer une nouvelle œuvre. La cogitatio et l’imaginatio interviennent également dans ce processus. Notons que l’accroissement est identifié à l’invention, car l’amplification des faits des prédécesseurs, ainsi que la collecte des images mémorielles créent une nouvelle image.
Dans les Miracles de Nostre Dame notamment, les syllabes sont identifiées à des loci. La copie du texte étant fondée sur ces syllabes, mais également sur les neumes. Ainsi, les neumes simples (virga et punctum) sont placées généralement au milieu ou à la fin des mots ; et ces proportions sont récurrentes dans toute la chanson. En outre, les syllabes sont découpées de manière à mettre en valeur l’emplacement des neumes, et de fait un contraste est visible entre les neumes simples et les neumes composés de plusieurs notes. Or ces neumes composés interviennent sur des termes clefs de la chanson, notamment la fin qui est très ornée et sur certains vers récurrents particulièrement importants dans le déroulement lyrique (ce « système » est également visible au niveau des strophes). Cette construction en termes de contrastes, mais aussi en forme d’architecture logique et visible montre que l’espace musical est dépendant de l’espace écrit dans les chansons de dévotion de Gautier de Coinci. Par une architecture logique de la page, on imagine qu’une activation sonore était rendue possible dans la mémoire par l’utilisation de procédés récurrents visuels au fort potentiel mémoriel.

Bible de Moutiers-Grandval
Majestas Domini

Anne-Orange Poilpre (Maître de Conférences, Université de Nancy), Le Verbe en image et les images du Verbe à l’époque carolingienne :
En se posant la question de la représentation du Verbe divin, Anne-Orange Poilpre a rassemblé un corpus de manuscrits carolingiens produits au scriptorium de Saint-Martin de Tours sous le règne de Charles le Chauve. Le sujet confronte deux principes : l’aspect matériel de l’image et la représentation divine, en impliquant la question de la visibilité du divin, propre au Christianisme médiéval. L’émergence d’images donnant à voir des vérités religieuses, tel la figuration du Verbe semble en effet être une spécificité chrétienne. Suivant des modèles empruntés à l’Antiquité tardive, un assemblage d’images va se forger pour évoquer le Verbe à l’époque carolingienne dans les manuscrits : il s’agit de la Majestas Domini, c’est-à-dire du Christ entouré du tétramorphe (l’ange de Matthieu, l’aigle de Jean, le lion de Marc, le bœuf de Luc).
L’origine du tétramorphe est double : elle apparaît dans une vision d’Ézéchiel (Ez. 1, 1-14) et elle est évoquée par Jean dans l’Apocalypse (4, 7-8) ; elle est ensuite discutée par des théologiens chrétiens dès la fin du IIe siècle. Le texte des Évangiles est alors représenté de manière symbolique par le tétramorphe qui fait aussi référence à ses auteurs : les Évangélistes et le Christ lui-même. Depuis la figuration du Christ entouré du tétramorphe dans l’abside de Sainte-Pudentienne à Rome, cette image se systématise dans les manuscrits carolingiens avec une organisation spatiale de la page assez récurrente. Toutefois, n’étant pas dans un système codifié byzantin, la forme et l’échelle s’adaptent suivant les manuscrits, le motif christologique varie (Christ anthropomorphe, Agneau mystique, croix), mais le sens et le symbolisme de cette image restent constants. Ainsi, le Christ en gloire placé dans une mandorle entouré des quatre symboles des Évangélistes est à la fois une association de l’image du Christ et du Verbe, et la signature divine dans le monde créé. La quaternité du tétramorphe renvoyant non seulement au texte exprimant la vérité de l’avènement christologique et de fait au Verbe, mais aussi au monde. Produisant une sorte de synthèse, cette image fait coïncider divers textes exégétiques (notamment ceux de saint Jérôme) et adopte une place centrale dans l’imaginaire chrétien en adéquation avec l’économie du livre.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que les figurations du Christ sont limitées à ces représentations dogmatiques dans les bibles carolingiennes. La Majestas Domini prend alors place en préface, puis les portraits des Évangélistes ornent chaque frontispice des Évangiles correspondants. Or, dans ce contexte, la dimension narrative de la vie du Christ est complètement marginalisée ; les illustrations en tant que telles des Évangiles sont en effet presque absentes de ceux-ci. L’image offerte est caractérisée par une symbolique synthétique et dogmatique, le propos n’est pas illustratif mais cognitif avec pour enjeu l’idée de l’Incarnation et la restauration de la visibilité de Dieu. Cette image montre justement quelque chose d’invisible : la parole divine, le Christ en gloire, qui n’est accessible que par l’esprit. Dans ces images, le tétramorphe est parfois associé à quatre prophètes marquant la relation de la Majestas Domini avec ce qui l’a précédée et insistant encore sur la figuration du Verbe divin. Un losange permet souvent de structurer la page en délimitant un espace symbolique sans pour autant évoquer un intérieur et un extérieur, mais plutôt un emboîtement de structures les unes dans les autres, suivant les écrits de Raban Maur et d’Alcuin. En outre, le losange, tout comme le tétramorphe, serait un autre moyen d’évoquer métaphoriquement le monde créé et normé, le cosmos chrétien. Cette image propose alors une réflexion sur le Verbe divin en effectuant une sorte de mise en abyme du texte évangélique lu et entendu.
Bible de Moutiers-Grandval,
épisodes de la Genèse
Lorsque ces manuscrits carolingiens comportent des bibles complètes, les figurations narratives ne sont pas totalement absentes, puisqu’elles interviennent dans les parties vétérotestamentaires, comme dans la Bible de Moutiers-Grandval où certains épisodes de la Genèse sont illustrés en pleine page, organisées en bandes superposées. Ainsi, le péché originel puis la vie d’Adam et Ève sur terre sont illustrés avec l’intervention de Dieu sous des trais christologiques. Or, on remarque que cette image anthropomorphe et christique de Dieu disparaît complètement après l’expulsion du Paradis et est « remplacée » par la main divine, qui est aussi une métaphore de la Parole. Un rapport très fort existe donc entre le corps divin et le Verbe, dans un dépassement de la matérialité. Le Christ entouré du tétramorphe est précisément une image divine inédite qui fait entièrement appel à l’esprit ; d’où le développement de cette image conceptuelle dans les bibles. Anne-Orange Poilpre souligne enfin que les illustrations des épisodes de la vie du Christ ne sont pas totalement absentes des manuscrits carolingiens, mais qu’elles interviennent plutôt dans des livres liturgiques (tel le Sacramentaire de Drogon, qui est en outre une production très originale), répondant ainsi à une autre problématique et à un autre usage que les bibles destinées à un usage intellectuel, pieux et méditatif autant en ce qui concerne le texte que face aux images qu’elles contenaient.

Fragment d'antiphonaire, Bologna, Q3, frag.19
Violaine Anger (Maître de Conférences HDR à l’Université de Évry), Quelle parole rendre visible ? :
Spécialiste de la musique du XIXe siècle, Violaine Anger a axé sa communication sur la problématique du dispositif d’écriture de la musique médiévale : la partition musicale, entre autres caractéristiques, analyse la parole de deux manières étonnantes : une opposition entre les mots et la manière de les dire, et une conception de la manière de dire –appelons-la « la voix » extrêmement matérielle, puisque représentable sous forme d’une image, une ligne articulée. Ce sont ces deux points qu’une enquête dans les théories antiques de la parole cherche à expliquer.
Il faut d’abord revenir sur la transcription alphabétique de la parole. Grâce au Théétète de Platon, on apprend que l’alphabet est considéré comme un ensemble d’éléments alogiques, -n’ayant pas de logos; ce sont des codes, des signes conventionnels et abstraits qui sont convoqués pour analyser la parole, dont la dimension sonore est de ce fait la seule prise en compte, au détriment des « images » que la parole porte avec autant de force. La parole est en revanche conçue comme une union entre les voyelles et les consonnes muettes ou sonores : articulation et élément sonore « pur » sont donc posés comme indissociables (ce que ne font pas, par exemple, ni une écriture syllabique, ni une écriture purement consonantique). Ce faisant, Platon interroge avec une sorte d’anxiété la pratique assez neuve de l’écriture (dont l’avènement est fixé par un geste politique en 403), et en particulier son rapport à la vérité. Le son, le « chant » marquait l’enthousiasme de l’aède et le fait que sa parole lui venait d’une puissance qui le dépassait : il est à présent suspect.
Aristote répond à Platon dans le Peri hermeneias en écrivant que l’âme est la médiation entre le logos et les choses. Il y a les choses, qui sont les mêmes pour tous ; les images produites par ces choses dans les esprits des hommes, qui sont les mêmes pour tous. Il y a les signes, vocaux et écrits : ceux-là ne sont pas les mêmes pour tous, puisque les langues sont multiples. Un mot, entendu ou écrit, est donc en fait un symbole, qui signifie sans lien intime avec la chose. En revanche, une émission articulée, même si on ne la comprend pas parce qu’elle est dans une langue étrangère, est signe que celui qui la produit a une « âme » capable de faire la médiation entre le logos et les choses. Le langage articulé sonore (que Rousseau interrogera avidement) est signe de l’activité de l’esprit. On voit ici l’influence très nette de la pensée alphabétique : les images évoquées par les mots sont de nature mentale, naturelle et universelle, par opposition aux sons attribués aux mots et à l’écriture, qui ont valeur institutionnelle et relative. Dans un effort de description du réel, il propose l’organisation de la pensée et du langage en trois termes : logos, phonê, psophos. Le psophos est le son brut ; la phonê est un son propre aux êtres animés, qui est lié au mouvement de l’air et qui suppose une représentation. La phonè pour Aristote est parole articulée ; elle est indissociable du logos. La question d’une phonè  des animaux est difficile : elle suppose de savoir s’ils ont une « âme », c’est-à-dire d’interroger leur capacité représentative.
Toute autre est la représentation du langage des stoïciens, et cette tension antique est importante si on veut vraiment s’interroger sur ce qu’est la voix et la parole.
Chez les stoïciens, Diogène Laërce distingue les mêmes notions qu’Aristote : logos et phonê, en y ajoutant celle de leixis. L’organisation unitaire de la nature par les stoïciens, les pousse en effet à dégager une dynamique dans le processus signifiant. Dans ce contexte le logos est l’ensemble des rapports que l’on peut saisir ; la leixis est une voix articulée mais pas nécessairement signifiante (par exemple les onomatopées) et la phonê est le corps physique sonore. Il n’y a donc pas de séparation entre le son brut et le son signifiant comme chez Aristote, le son brut étant toujours traversé, plus ou moins, par du logos ; les stoïciens considérant le langage des animaux et la parole humaine comme une continuité.
Il est important de prendre la mesure de cette tension : l’important est-il la parole articulée signifiante (phonè aristotélicienne), ou le son dynamique émis par les hommes comme par les animaux (phonè stoïcienne) ? La question de ce qu’est la « musique » dans son lien avec « les mots » trouve là un nœud de pensée dont les implications sont immenses : comment comprendre le logos dans le monde ? Quelle est la nature de la représentation humaine ? Etc. Selon la conception de la phonè –de la voix- que l’on adopte, alors, on pense  de façon radicalement différente la place de l’être humain dans le monde.
Pour comprendre la dichotomie présente dans la partition musicale, l’analyse aristotélicienne est de peu d’aide ; mais l’analyse stoïcienne, qui insiste sur le côté matériel de la parole sonore, peut mettre sur la voie de cette capacité à représenter la voix comme un flux. De plus, les stoïciens, tout à leur volonté de refuser une activité représentative idéelle, distinguent le verbe intérieur et le verbe proféré, le concept formé intérieurement par l’intelligence, et son expression sensible par le son de la voix. Ceci peut-il mettre sur la voie de la distinction opérée dans la partition musicale entre les mots et la manière de les dire ? Pas complètement, dans la mesure où la partition musicale oblige à dire les deux en même temps, ce que n’imaginent pas les Stoïciens.
Ajoutons que les Stoïciens déplacent la conception aristotélicienne des signes : l’ensemble des énoncés deviennent signes, au même titre que tout ce qui, dans la nature, est déchiffré par les devins.
On comprend alors que l’héritage antique de l’analyse de la parole a été retravaillé par la pensée juive et chrétienne, et que c’est là qu’il faut sans doute chercher la réponse aux questions posées sur la partition musicale.
Violaine Anger accélère alors et se contente de donner les résultats d’une enquête qui passe au moins par Origène, Ambroise, Augustin : la réinterprétation de la nature matérielle de la parole ; le changement de conception du corps, du rapport à la vérité, qui s’ensuit et la mise au centre du locuteur dans ce qui fonde sa capacité à parler; le passage entre le grec et le latin, qui insiste sur la tension oxymorique d’une parole à la fois matérielle et immatérielle ; la relecture par Augustin du verbum in corde meo ,- le verbe intérieur-, et du verbum prolatum sensui tuo, -le verbe proféré- ; enfin, l’importance apportée par Augustin à la vox, qui est à la fois corporelle et indissociable des mots : le verbe devient voix, mais ne se transforme pas en voix. Sicut verbum nostrum fit vox, nec mutatur in vocem. Nous trouvons là des éléments solides qui permettent de comprendre l’analyse de la parole proposée par la partition musicale.
 Il serait toutefois trop simple de conclure hâtivement à une origine chrétienne de la partition musicale, provenant d’une réinterprétation univoque de la parole stoïcienne par les chrétiens romains. Au contraire, une dernière enquête relance la question des signes : les Stoïciens ont pensé les énoncés comme des signes parmi les signes, certes ; Augustin déploie une réflexion de fond sur la vox comme signum ; mais Boèce, lui, traduit le Peri Hermenias d’Aristote en gommant la distinction entre symbolon et semeion : tout cela est, pour lui, notas, chose mise pour une autre. Au début du Ve siècle donc, la vox se trouve, dans sa nature, tendue entre le signum augustinien et les notas boéciennes. Si la créativité permise par la partition musicale et son analyse étonnante de la parole n’est plus à démontrer, l’interrogation radicale sur ce qu’est un signe et la capacité langagière à signifier demeure : ces tensions pourraient-elles être comprises comme étant le moteur de l’évolution stylistique musicale ?  
Welleda Muller

mercredi 6 juin 2012

Compte rendu de la réunion PLM Musiconis

Légende de saint Julien l'Hospitalier, cathédrale de Chartres
Compte rendu de la réunion Patrimoine et Langages Musicaux. Premier bilan scientifique du projet ANR Musiconis (2 juin)

Introduction, Frédéric Billiet :
Frédéric Billiet remercie l’équipe d’accueil Patrimoine et Langes Musicaux pour son soutien et précise que la présentation de bilans scientifiques devant l’équipe est importante non seulement du point de vue de la recherche, mais également pour servir de modèle lors de la constitution de projets ANR par des membres de l’équipe.
Depuis septembre 2011 (début du financement du projet), un séminaire a été mis en place sur le site de Clignancourt (2 rue Francis de Croisset, Paris 18e) à destination des étudiants en Master et ce séminaire a été l’occasion de discuter du modèle d’indexation et d’y apporter de nombreuses modifications. L’activité de la recherche est importante autour de Musiconis, puisque déjà trois thèses ont été soutenues : Welleda Muller en 2009 sur Les stalles, siège du corps dans les chœurs liturgiques du Grand Duché de Bourgogne aux XVe et XVIe siècles (à paraître chez Brepols Publishers), Xavier Fresquet en 2011 sur Les cithares-planche médiévales : organologie, reconstitution et translatio musicae ; et Sébastien Biay en 2011 sur Les chapiteaux du rond-point de la troisième église abbatiale de Cluny (fin XIe-début XIIe siècle) : étude iconographique. Ainsi qu’une habilitation à diriger des recherches par Isabelle Marchesin en 2012 sur L’arbre et la colonne. Essai de sémiotique visuelle sur la porte de bronze de Hildesheim (1015). Les séminaires qui ont vu les interventions d’historiens de l’art (Alison Stones, Cécile Voyer, Eric Palazzo), de littéraires (Jean-Marie Fritz, Isabelle Ragnard), d’historiens (Vincent Debiais), d’organologues (Lionel Dieu, Christian Rault, Yves d’Arcizas) et de musicologues (Christelle Cazaux-Kowalski, Katarina Livljanic), ont également été l’occasion de faire vivre la recherche autour du projet et de modifier ou d’affiner les critères d’indexation proposés dans la base.
Un premier rapport a été rendu en février 2012 à l’ANR.
Frédéric Billiet propose un séminaire au niveau doctoral à la Maison de la Recherche (28 rue Serpente, Paris 6e) pour l’an prochain.
Les préoccupations majeures qui interviennent en ce moment sont liées aux problématiques du visuel et de la dénomination des instruments pour un accès au plus grand nombre. Une réunion portant sur ce point sera organisée avec les post-doctorants, Frédéric Billiet, François Picard et Nicolas Meeùs.

Point technique, Xavier Fresquet :
Xavier Fresquet présente le volet technique faisant partie intégrante du projet ANR puisqu’une recherche parallèle à la musicologie et à l’histoire de l’art a été engagée à travers le développement du portail Musiconis en informatique. Plusieurs points importants sont à soulever :
- la mise en relation de différentes bases de données, le partage de critères communs (données spatio-temporelles, relatives au format et à la technique, etc.).
- le développement de nouveaux critères d’indexation (notamment des critères organologiques précis et de nouveaux descripteurs du son sur un modèle d’Isabelle Marchesin développé par les discussions issues des séminaires),
- la mise en place d’un système de validation avec les partenaires (avec divers « statuts » pour intervenir dans la base : administrateurs partenaires, administrateurs Musiconis, correcteurs ; on fera un test sur un corpus donné),
- la création d’un lien « à double sens » entre les partenaires et le portail Musiconis ; c’est-à-dire un lien vers la base partenaire sur chaque fiche et un lien vers Musiconis sur la base distance.
Pour le moment, l’intégration de fiches provenant des bases de données Musicastallis, Romane (et APEMUTAM), Enluminures (IRHT), Sculpture (Centre A. Chastel), Vitrail (Centre A. Chastel) et Gothic Ivories Project (Courtauld Institute, Londres) a été réalisée ou partiellement réalisée. Il reste à intégrer Liber Floridus, le MIMO, Mandragore (BnF), le RIDIM et les images du Centre François Garnier (Association Rencontre avec le Patrimoine Religieux).
D’un point de vue informatique, le projet Musiconis a permis la définition d’un Document Type Définition pour l’iconographie musicale médiévale avec un modèle de document XML complet (grammaire de classe de document) et ce modèle devrait pouvoir être utilisé pour toutes les images musicales médiévales.
L’état actuel des développements comporte :
- un volet communication avec le blog qui permet de faire le point sur les séminaires, de recenser les questions, les interrogations et ouvertures de la recherche ; de présenter les actualités du projet, ainsi que les bibliographies des intervenants aux séminaires,
- un volet administratif (back-office) formant une interface fonctionnelle de saisie des fiches hébergée par l’Université Paris-Sorbonne.
Avec déjà 274 fiches réalisées, Musiconis présente un modèle complet de données recensant 778 performateurs et 550 instruments sur les stalles, les sculptures monumentales romanes et gothiques, les peintures romanes, les enluminures, les vitraux et les ivoires gothiques.
En ce qui concerne la chronologie du projet soumise à l’ANR, elle a été presque inversée, puisque la mise en place du modèle d’indexation et des fiches est intervenue plus tôt que prévu et qu’il reste à développer les liens avec les bases distances et le moteur de recherche. Prenant pour modèle simple Musicastallis, la base Musiconis a énormément développé son schéma et ses critères d’indexation.
Certains freins sont néanmoins remarquables bien qu’inhérents à la mise en place d’un tel projet. Ainsi, la création d’une structure de données tout en menant une réflexion sur les champs a entraîné de nombreuses modifications de la structure et des types de champs d’où la nécessité de revoir, corriger, préciser en détail toutes les fiches déjà créées. La mise en place technique et celles des partenariats a également entraîné des retards.
Xavier Fresquet rappelle le partenariat avec CapDigital, un pôle de compétitivité à dimension internationale qui comporte 700 adhérents (620 PME, 20 grands groupes, 50 établissements publics, écoles et universités, 10 investisseurs, notamment l’ANR). Ce partenariat nous permet de faire partie d’une communauté ingénierie des connaissances : le NTAI (Nouvelles Technologies d’Analyse de l’Information) avec des projets comme AMMICO (visites virtuelles de musées), ASFALDA (analyse sémantique), etc. Cela forme un soutien possible de Musiconis qui permettra un suivi technique du développement informatique du projet, une mise en contact avec d’autres partenaires pour collaboration (front-office) et une possibilité de partenariat avec accord de gré à gré avec les prestataires de CapDigital (sur les fonds alloués par la labellisation).
Les étapes restantes du projet sont :
- juin-septembre 2012 : corrections et ajouts de fiches, mise en place du moteur de recherche et de la page de résultats ; le système sera fonctionnel avec les liens vers les bases distantes en septembre.
- septembre 2012-février 2013 : import des fiches partenaires, mise en place d’un système de validation/édition.
- mars-juin 2013 : Fin du développement en juin, phase de tests et corrections jusqu’en juillet (fin des contrats de recherche) et septembre 2013 (fin du contrat de l’informaticien).
Puis viendra une phase de communication autour du projet avec des interventions lors de colloques nationaux et internationaux, des publications et l’organisation d’un colloque Musiconis.

Appui-main,
stalles de Saint-Pol-de-Léon
Développement de la communication, Jérôme Parbaile :
Au niveau du webmastering du futur site internet Musiconis, l’idée était d’offrir un outil simple et fonctionnel. La page d’accueil comporte donc le logo, un menu, le texte explicatif du site et un moteur de recherche simple. L’actualité de Musiconis (l’actuel blog) est renseignée avec la possibilité de s’abonner au flux RSS. Les tweets de Musiconis apparaissent également. Enfin, l’image du mois permettra de créer un dialogue avec les partenaires et les visiteurs du site. Il reste à travailler sur l’ergonomie du site. La fiche, qui comporte pour l’instant beaucoup d’informations, devra être plus facilement lisible ; les aspects des résultats des recherches seront aussi à travailler. Une fois le site prêt, les partenaires seront mobilisés pour créer une communauté et investir les médias sociaux (ce qui est déjà en marche avec le blog et le compte tweeter : https://twitter.com/#!/musiconis) ; il faudra établir des liens pour faire en sorte d’avoir une bonne position dans les moteurs de recherche.

Justification du modèle d'indexation, Sébastien Biay, Welleda Muller :
L’interface administrative se découpe pour l’instant en neuf tables d’indexation pour chaque fiche.
- Tout d’abord les Informations Principales sur la fiche (qui sont le plus souvent récupérées des bases partenaires), avec le numéro de la fiche dans la base partenaire (indispensable pour effectuer le lien ensuite), le nom de cette base et le titre qu’elle a donné à l’image choisie. Un champ « titre Musiconis » a été ajouté pour permettre une recherche plus facile des futurs visiteurs du site. Le « titre officiel » renvoie à des noms d’œuvres conventionnels comme la « tapisserie de Bayeux » (qui est en fait une broderie). Puis on renseigne la date de trois façons : une fourchette avec « date début » et « date fin » et le siècle (possibilité de mettre circa). La restauration est précisée car elle peut modifier des éléments organologiques ou liés à la représentation du son dans l’image ; il est rappelé que les images néo-gothiques ne seront pas prises en compte dans le projet Musiconis tel qu’il a été soumis à l’ANR en 2011. Vient ensuite l’objet technique pour lequel un menu déroulant a été mis en place avec les entrées : peinture murale, enluminure, sculpture sur bois, sculpture sur pierre, sculpture sur ivoire, orfèvrerie, broderie-tapisserie, relief en bronze, vitrail, marqueterie. Le type image sera surtout utilisé dans le cas des enluminures car il faudrait préciser s’il s’agit d’une initiale, d’une marge ou d’une miniature. Les numéros IconClass sont également renseignés dans cette table pour offrir une dimension internationale au projet et permettre l’interrogation dans plusieurs langues. Enfin, un champ source littéraire renvoie aux sources primaires lorsqu’elles sont évidentes, comme dans le cas de Tristan harpiste ou d’un proverbe parfaitement identifiable.
- La Localisation de l’image est divisée en deux parties : la localisation actuelle et la localisation d’origine, la distinction étant nécessaire notamment pour les manuscrits. La localisation d’origine comporte des menus déroulants pour caractériser le « type d’édifice » auquel on a affaire ainsi que la localisation spatiale précise dans un édifice religieux notamment, par exemple : abbaye monastique, chapelle.
- Vient ensuite la table Performateurs qui permet d’indexer ce qui est relatif aux musiciens, chanteurs ou danseurs. On renseigne leur type qui peut être double (musicien et jongleur par exemple) ; une entrée « orchestique » permet de choisir entre : animation remarquable des corps, figure acrobatique, danse et jonglerie. La danse et la figure acrobatique peuvent ensuite être spécifiées grâce à des menus déroulants. Le genre et la qualité du personnage sont précisés ; les qualités pouvant être multiples (par exemple : personnage biblique, berger), un thesaurus a été mis en place, ce qui permettra de faciliter les futures recherches dans la base. Si la vêture n’est pas nécessairement signifiante pour l’époque romane, elle est en revanche importante à l’époque gothique puisqu’elle permet de situer une chronologie et de préciser la qualité d’un personnage, c’est pourquoi un champ spécifique a été créé. La posture est également à renseigner dans un champ libre. Pour les chanteurs, un menu déroulant a été mis en place pour préciser les ouvertures de la bouche (ouverte, entre-ouverte, fermée, etc…).
- Dans les cas très fréquents où il y a plusieurs performateurs dans une seule image, il a semblé indispensable de créer une table consacrée aux Relations Spatiales entretenues par ces personnages. Tout d’abord, on précise leur nombre, leur situation les uns par rapport aux autres (face à face, dos à dos, etc.) toujours à l’aide d’un thesaurus ; ensuite, on précise si un objet ou un personnage intervient dans la scène (par exemple un arbre, le Christ, etc.) Les relations au support écrit sont également à renseigner dans cette partie ; elles concernent surtout les chanteurs qui sont très souvent mis en présence d’un livre posé sur un lutrin ; le fait qu’ils tournent les pages ou posent la main sur le livre est intéressant à indexer pour les futures recherches. Liés à la posture et aux relations spatiales, les marqueurs de direction musicale permettent de mettre en évidence la pratique de tactus différents (de contact, en l’air, etc.). Une dernière entrée a été créée pour caractériser les relations de volume sonore entre ce qu’on appelle les hauts et les bas instruments ; un thesaurus est en cours d’élaboration pour remplir ce champ avec lequel il convient de rester prudent (l’ouvrage de référence en la matière est celui de Luc-Charles Dominique dans Musiques savantes, musiques populaires. Les symboliques du sonore en France 1200-1750, éd. CNRS, 2006). Enfin, toujours dans le cas de plusieurs performateurs, on peut renseigner les types d’ensembles musicaux (chanteurs ou musiciens) visibles sur l’image sous une forme numérique ; il n’est en effet pas rare d’avoir deux musiciens jouant ensemble d’un côté et trois autres d’un autre (ce qui donne 2, 3).
- La table Instruments comporte des critères organologiques très précis relatifs aux cordophones, aérophones, membranophones et idiophones, mais également à propos de la tenue et du mode de jeu des instruments. La problématique que pose cette table est la cohabitation de termes issus de la classification Hornbostel & Sachs et de termes « médiévaux ». Selon Nicolas Meeùs (qui n’était pas présent mais à répondu à de nombreux mails à ce sujet), « la classification H&S a le mérite de n’utiliser que des noms abstraits, déconnectés des usages spécifiques – avec les problèmes que cela provoque, luth pour des instruments que personne n’a jamais appelé comme cela, par exemple – ; mais le reproche est injustifié, puisque précisément il ne s’agit pas de noms d’usage. On peut faire l’un ou l’autre, une nomenclature abstraite, classificatoire, ou une nomenclature concrète, proche de l’usage – mais alors il faut choisir l’usage, son aire géographique et chronologique, parce qu’il n’est pas imaginable qu’une nomenclature rende compte de tous les usages (des dictionnaires existent pour cela) ». François Picard insiste sur le fait que ces termes d’instruments doivent être interrogeables dans toutes les langues (en tout cas en anglais, français et allemand) et que la classification H&S permet de répondre à cette nécessité. L’intervention de termes « vernaculaires » pose le problème de la définition de ces termes, aucun consensus n’ayant été trouvé pour de nombreux termes et certains ayant été employés pour qualifier des instruments différents suivant des variables régionales. Le MIMO a tenté de trouver des descripteurs transculturels et inter-langage avec la classification H&S ; ce serait un exemple à suivre. Des critères organologiques précis pourraient en outre permettre de qualifier précisément certains instruments (tels les fonds plats ou bombés). Toutefois, il est certain que des interrogateurs de la base vont chercher des termes comme « muse » qui n’ont pas de réalité historique ou des termes impropres comme le rebec pour qualifier les petites vièles à trois cordes de l’époque romane, il faut alors réfléchir à un système de renvois pour l’interrogation future. Philippe Laublet indique qu’il est possible d’élaborer un système de requêtes plus subtiles avec un catalogue de mots reliés ou voisins, afin de faciliter la recherche des futurs utilisateurs de la base et de leurs proposer des alternatives à leurs recherches de termes vernaculaires.
- Les instruments et les performateurs sont reliés entre eux, ce qui est particulièrement utile lorsqu’une image comporte plusieurs musiciens jouant d’instruments différents.
- La table Son, comme la table suivante Analogies, est pourvue de descripteurs permettant d’entrer véritablement dans la recherche de la représentation du son dans les images médiévales. Tous les champs de ces pages sont libres avec la constitution d’un thesaurus et la possibilité d’argumenter les choix dans un champ commentaire. La première entrée concerne l’action du son dans l’image qui est généralement visible dans « l’entourage » du musicien ou du chanteur. La notation musicale, les signes et-ou les métaphores visuelles du son sont également indexés dans cette table, ainsi que leur position dans l’image. Les références à la théorie et à la perfection musicales permettent de renseigner la présence d’intervalles, d’accords, de consonance ou de dissonance. La classification des instruments (tripartition isidorienne, classe instrumentale unique) intervient également dans cette table. Une source d’inspiration musicale dans l’image peut également se présenter (Muse, Saint-Esprit) et ne sera pas négligée ici. Un champ « univers référentiel du son » a été créé pour spécifier le « type » de musique auquel on a à faire (par exemple musique liturgique, musique parodique, musique angélique, etc.). Certains éléments sont encore à créer pour pouvoir spécifier tous les univers référentiels du son intervenant dans les images médiévales. Enfin, un dernier champ permet de renseigner la propagation du son et les marqueurs de l’audition chez un éventuel auditoire de la performance musicale.
- La dernière table est consacrée aux Analogies ou résonances iconographiques. Elles sont de quatre types : les analogies géométriques (symétrie par exemple), formelles (corps-instrument par exemple), chromatiques et quantitatives (proportions, système de nombres, etc.). Faisant le lien entre la performance musicale et son environnement, elles seront utiles dans une perspective de recherche sémiotique.

Ouverture de la recherche (avec la participation de Michèle Alten, Karine Boulanger, Philippe Laublet, François Picard, Theodora Psychoyou) : Les participants insistent sur la nécessité d’établir un système clair, notamment pour définir les instruments, mais également pour indexer les performateurs et le son dans les images. L’aspect subjectif des tables « son » et « analogies » est pointé, d’où la nécessité de justifier ces nouveaux critères d’indexation dans la future base. L’élaboration d’hypothèses sur les images (à travers la table analogie principalement) est également remise en question, étant donné le danger que cela représente au niveau de la fixation d’un sens sur l’iconographie musicale. Toutefois, si l’attribution d’une dimension signifiante aux différents éléments iconographiques dans la représentation du son peut susciter des interrogations, la constitution de séries permet d’étayer la pertinence de ces observations.
Welleda Muller