mardi 24 avril 2012

Présentation de la base Romane (CESCM Poitiers)


À l’occasion de la tenue du séminaire Musiconis à Poitiers le 12 avril 2012, la base de données Romane a été présentée par Aurélia Bolot-de Moussac, responsable de la photothèque du Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale (CESCM, université de Poitiers-CNRS).

Présentation :
L’étude de la civilisation médiévale ne saurait être aussi riche sans l’existence de fonds patrimoniaux, qu’ils soient relatifs à l’iconographie, l’architecture, la sculpture ou le manuscrit. Les informations recueillies grâce à l’inventaire, l’identification et l’analyse d’un grand nombre de collections sont essentielles pour assurer à la communauté scientifique un meilleur outil de réflexion sur ce qui lui est parvenu du passé.

Au cours de ces dernières années, l’évolution des technologies a permis d’optimiser l’accessibilité à bon nombre de corpus. La conservation, l’étude et l’accès aux collections nationales et internationales, qu’ils concernent le spécialiste ou un plus large public, imposent une mise en  place de vastes campagnes de numérisation, de traitement des images, d’indexation et de mise en ligne des données ainsi collectées. 
C’est en ce sens que, l’équipe de la photothèque du CESCM a mis en œuvre, depuis plusieurs années, un programme d’indexation et d’exploitation scientifique de 160 000 documents dédiés au Moyen Âge. La base de données Romane, combinant données textuelles et numériques, sera bientôt disponible via internet. Elle propose actuellement près de 15 000 notices et 13 000 images numériques relatives à l’architecture, la sculpture, la peinture murale, le manuscrit… Chaque année, de nouvelles campagnes photographiques, déterminées en fonction des programmes de recherche du laboratoire, viennent enrichir la collection. Un travail collaboratif sur l’iconographie, étroitement mené avec le Groupe d’Anthropologie Historique de l’Occident Médiéval (GAHOM, EHESS-CNRS), va donner lieu à la publication électronique d’un Thésaurus des Images Médiévales, le TIMEL, depuis longtemps intégré à la base de données ROMANE. D’autres projets se développent grâce à ROMANE, en particulier autour des restitutions 3D, des ontologies et des modèles de contenus.

Romane et Musiconis :
L’implication du CESCM dans le cadre du projet  Musiconis fait de ROMANE un élément-clé parmi les bases de données à partir desquelles le volet iconographique de la base de données de Musiconis s’est dessiné. Plus de 400 fiches issues de ROMANE répondent à l’interrogation des thèmes « musique », « danse », « acrobatie » et « chant, » qui font actuellement l’objet du travail d’indexation approfondi, spécifique à Musiconis, sur les représentations du son dans les images médiévales.
À la faveur du partenariat existant entre Musiconis, et l’APEMUTAM (Association pour l’Étude de la MUsique et  des Techniques dans l’Art Médiéval), l’important travail de recensement, de photographie et d’identification des scènes musicales mené depuis plusieurs années par Lionel Dieu viendra bientôt enrichir la base ROMANE, associant à l’objectif d’exhaustivité de cette dernière pour les sites indexés, l’apport de nombreux clichés de détail, ainsi qu’une expertise reconnue dans le domaine organologique.
Sébastien Biay


dimanche 22 avril 2012

Compte rendu du séminaire du 12 avril 2012

Cantigas de Santa Maria (Cantiga 10)
Organologie médiévale
Yves D'Arcizas, Lionel Dieu, Christian Rault

Christian Rault a reçu une formation de luthier à Crémone. Son intérêt pour l’art roman l’a poussé à engager des recherches sur les images pour la reconstitution d’instruments médiévaux. Or, il compris rapidement la nécessité de hiérarchiser ces images (souvent issues de la sculpture romane) en les classant par « qualités » pour la reconstitution d’instruments ou pour la pratique musicale. Il convient d’ailleurs de s’interroger sur les instruments représentés : sont-ils sujets ou objets des images ? Très vite, les images d’instruments de musiques sculptés à Saint-Jacques de Compostelle s’avérèrent d’une qualité exceptionnelle d’un point de vue organologique ; à tel point que l’idée fut venue de reconstituer ces instruments uniquement d’après ces images. Mais pour cela, il fallait renoncer à des habitudes de lutherie modernes, notamment le placement d’une âme et/ou d’une barre d’harmonie quasi obligatoire pour faire sonner les instruments à cordes. Or, les premiers luthiers qui se sont intéressés aux instruments médiévaux ont plutôt essayer d’appliquer ce qu’ils avaient appris sur des formes qu’ils avaient pu observer, d’où l’apparition de sorte de violons « déguisés » en vièle. Toute la problématique était d’être conscient des filtres à travers lesquels les luthiers regardaient les instruments médiévaux. Grâce aux croisements de regards et de points de vue dans le développement de projets interdisciplinaires autour de Saint-Jacques de Compostelle, on décida d’attendre d’avoir la preuve qu’un élément existe pour le recréer. Ainsi, l’existence de l’âme n’est prouvée qu’à la fin du XVIe siècle (dans les textes) et les éléments archéologiques ne permettent pas d’en assurer la présence avant cette date. Les instruments médiévaux conservés dans les musées, comme la viola du musée de Vienne, attestent d’une technique monoxyle sans âme ni barre d’harmonie. Ces instruments fonctionnaient donc avec des principes structurels et harmoniques différents de ceux que l’on fabrique depuis l’époque Baroque.

Organistrum, Saint-Jacques de Compostelle
Yves d’Arcizas précise d’ailleurs qu’il est extrêmement important de se rappeler que le système musical médiéval était bien différent du système tempéré qui a cours aujourd’hui et qui influence profondément notre pensée. Le système musical médiéval était en effet basé sur les harmoniques naturelles dans lequel la quinte juste avait une importance fondamentale. Ce goût pour les harmoniques a, de fait, créé une esthétique polyphonique qui semble typiquement « médiévale ». Et dans cette esthétique la distinction des différents sons était fondamentale. À la Renaissance avec l’apparition de pièces musicales pour quatre voix distinctes et l’apparition d’instruments dérivés d’une même famille (pour les cordes par exemple : viole, dessus de viole, par-dessus, basse de viole), c’est finalement une sorte d’apogée de ce système harmonique car ces instruments déclinés par famille étaient considérés comme une seule et même entité. Il faut attendre la période Baroque pour qu’un véritable changement de paradigme s’impose avec l’apparition de la basse continue, puis du système tempéré. De même, des éléments « parasites » que l’on pourrait plutôt appeler « amplificateurs de son » sont très présents au Moyen Âge comme à la Renaissance ; les harpes étaient pourvues de harpions à la base des cordes au niveau de la caisse, faisant ainsi sonner une harmonique naturelle accompagnant la vibration de la corde ; les tambours comportaient des timbres, les triangles des anneaux ; les flûtes à bec étaient parfois jouées avec l’ajout d’un bourdon vocal ; tout ceci rendant la musique harmonique médiévale très spécifique. La voix chantée devait d’ailleurs être aussi pratiquée de façon particulière. Des recherches sur les musiques de l’Inde et du Népal permettent de retrouver d’une certaine façon ce paysage musical harmonique comportant des résonnances en bourdon.
Isabelle Marchesin se demande s’il existait des « écoles » de lutherie qui pourraient être reconnaissables dans les images médiévales. Christian Rault répond en soulevant le classicisme absolu des instruments à archet au Moyen Âge. En effet, les principes esthétiques, structurels et harmoniques sont mis en place à l’époque carolingienne puis ne changent pas jusqu’à la Renaissance. Les instruments évoluent, leurs formes changent, les postures des musiciens les utilisant sont d’une grande variété, mais la base esthétique, structurelle et harmonique qui les constituent restera stable pendant presque cinq siècles. Toutefois, avec l’influence mozarabe, le XIIIe siècle voit l’apparition de nouvelles formes de vièles et de luth ; un basculement se produit entre les luths monoxyles que l’on trouvait auparavant et les luths à lamelles importés d’Orient par le relais de l’Espagne. De « nouveaux » instruments apparaissent, surtout à partir du XIVe siècle, comme le rebec (rebebe). Toutefois, comme aujourd’hui ces instruments nouveaux, hérités de l’Orient, cohabitent avec les instruments « anciens » que l’on continue à fabriquer ; cette cohabitation est d’ailleurs renforcée par la continuité du répertoire musical.
Cantigas de Santa Maria (Cantiga 30)
La question de la compétence des artistiques (peintres ou sculpteurs) pour représenter ces instruments de musique resurgi. Yves d’Arcizas précise que l’omniprésence de la géométrie et de ses principes dans les métiers médiévaux peut être une piste pour expliquer le naturalisme de certains instruments sculptés ou peints. Les proportions géométriques utilisées pour fabriquer des instruments de musique ou pour sculpter un modillon sont les mêmes et il faut insister sur le fait que ces proportions géométriques sont aussi musicales : 1 demi = octave, 1 tiers = quinte. L’un des figures de base que l’on retrouve dans l’art comme dans la lutherie est la vesica piscis. Yves d’Arcizas n’a d’ailleurs recensé que trois ouvertures de compas différentes sur les harpes représentées dans l’art médiéval. Ainsi, la complexité de la géométrie n’est qu’apparente, puisque c’est un langage très bien connu et maîtrisé par la plupart des médiévaux. Il y avait une certaine simplicité d’utilisation des proportions harmoniques dans ce système duo-décimal. On retrouve d’ailleurs des proportions et des figures géométriques assez simples sur la plupart des instruments représentés ; le tracé de base en est souvent le double carré. Il faut également préciser que le quadrivium (arithmétique, géométrie, musique, astronomie) faisait partie de la formation de base des lettrés, donc des artistes qui ont réalisés les sculptures et les peintures que nous étudions. Ainsi, lorsqu’ils n’étaient pas aussi luthiers (comme certains huchiers facteurs de stalles par exemple), ils étaient certainement musiciens (au moins avaient-il appris la musique dans leurs années d’apprentissage). L’exemple le plus intéressant est certainement celui de Jérôme Bosch, dont les instruments suivent un tracé géométrique parfait, peut-être grâce à l’utilisation d’une camera obscura. Ainsi, la harpe qu’il a représenté dans le Jardin des Délices est d’un tracé harmonique rigoureux et la perspective semble avoir été mis en place après ce tracé géométrique. Yves d’Arcizas remarque en outre que Bosch était beaucoup plus féru d’instruments de musique que de bateaux ; les premiers étaient représentés avec plus de réalisme que les seconds. François Denis a étudié l’évolution des procédés de mesure et de tracés utilisés par les luthiers dans son Traité de Lutherie, Lille, éd. Aladfi, 2006.
Superposition du tracé géométrique de la vièle
du Manuscrit Arundel (C. Rault)
Au sujet du naturalisme de certains instruments représentés (notamment ceux à Saint-Jacques de Compostelle, qui sont d’ailleurs marqué par une facture unitaire), Lionel Dieu insiste sur l’importance de la mémoire visuelle des instruments réels ; ainsi, certains instruments ont certainement été représentés d’après nature, alors que d’autres l’on été de mémoire ce qui induit parfois des approximations ou des erreurs dans le rendu. Mais généralement les représentations d’instruments sont fiables ; ainsi Lionel Dieu a remarqué qu’en mesurant les bourdons des cornemuse dont les tailles et les formes varient souvent, on se rend compte que ces bourdons n’étaient pas systématiquement à l’octave et que certains éléments rapportés étaient en fait des coulisses permettant d’accorder les bourdons différemment. Ainsi, les détails qui peuvent paraître fantaisistes dans les images médiévales sont à étudier en détail, car ils révèlent souvent des pratiques harmoniques différentes des nôtres, mais participant au paysage sonore spécifique du Moyen Âge. Cette idée de naturalisme est aussi intéressante dans le sens où si la base géométrique des instruments de musique est constante, les formes peuvent adopter de grandes variétés ; tout comme la nature prend des bases géométriques (fleurs à 5 pétales, corps humain divisé en 7 parties égales, etc…), il n’y a pas deux fleurs ou deux humains identiques. Le tracé régulateur est donc « enrichi » d’un emballage très libre ; ce qui compte c’est l’idée de la symétrie et non la symétrie strictes ; la théorie est dépassée par l’imagination ; l’art médiéval est ainsi réellement « à l’imitation » de la nature.
Welleda Muller

Ont participés à ce séminaire : Frédéric Billiet, Sébastien Biay, Aurélia Bolot-de-Moussac, Christelle Cazaux-Kowalski, Yves d’Arcizas, Lionel Dieu, Isabelle Marchesin, Evelyne Moser, Welleda Muller, Christian Rault, Jean-Claude Trichard, Jean-Christophe Valière

Visitez les sites de nos intervenants :
Lionel Dieu : www.apemutam.org

mardi 3 avril 2012

Compte rendu du séminaire du 29 mars 2012


Sainte Claire, fragment d'antiphonaire
Iconographie des Graduels et Antiphonaires des XIIe et XIIIe siècles
Alison Stones

• Résumé de l’intervention :


Spécialiste des manuscrits littéraires français et de leur iconographie, Alison Stones (professeur à Pittsburgh University, USA) propose une étude iconographie comparative des manuscrits liturgiques des XIIe et XIIIe siècles, et en particulier de ceux contenant de la notation musicale, tels les graduels et les antiphonaires. 
   Un fragment d’antiphonaire mis en vente récemment par Christies comporte de la notation musicale, ainsi que de nombreuses illustrations. Les lettrines sont généralement en lien direct avec le texte en offrant des images renvoyant aux différentes fêtes de l’année liturgique. Certaines pages sont également ornées de marginalia, qui viennent souvent former un contre-point de l’image principale, bien qu’il soit difficile de systématiser cette hypothèse et a fortiori de l’étendre au « genre » marginal en général. Le genre a d’ailleurs été souvent étudié, sans que d’importantes découvertes fussent apportées ; Alison Stones cite les ouvrages qui font autorité sur la question, principalement ceux de L. Randall (notamment Images in the Margins of Gothic Manuscripts, Berkeley, 1966), M. Camille (Image on the Edge. The Margins of Medieval Art, London, 1992) et l’ouvrage collectif dirigé par J. Wirth (Les marges à drôlerie des manuscrits gothiques, Genève, 2008). Il est cependant intéressant de préciser que les marges de ce manuscrit sont très souvent peuplées de singes (notamment des singes jouant aux boules). Cet antiphonaire fragmentaire est également remarquable par son unité stylistique marquée par des visages très expressifs (notamment dans les jeux de regards), encadrés de boucles de cheveux arrondies ; les drapés sont mobiles, les petites architectures, nombreuses en arrière-plan, sont très détaillées avec la récurrence de l’appareillage ; les auréoles sont ornées de pointillés, etc. Si cet antiphonaire comporte des éléments iconographiques assez fréquents dans la peinture de manuscrit, il y a néanmoins quelques lettrines à la thématique plutôt rare. C’est le cas du Christ envoyant les apôtres prêcher et de Noé construisant l’arche, ressemblant plutôt à une barque ici, debout à l’intérieur, en référence à la période de jeûne du Christ. Toutes les initiales ne sont cependant pas historiées, certaines sont faites d’entrelacs végétaux, dans lesquels apparaît parfois un hybride et des animaux. Dans une marge, un chevalier tient un blason du comte de Flandre, ce qui peut nous renseigner sur le lien de fabrication de ce manuscrit. D’autres indices permettent de placer ce manuscrit dans le contexte d’un couvent de nonnes franciscaines ; notamment la présence de plusieurs moines franciscains dans les lettrines, et surtout celle de sainte Claire tenant une monstrance face à une nonne, qui est en outre une iconographie fort rare.
Noé, fragment d'antiphonaire
Grâce à la stylistique très personnelle du peintre de l’antiphonaire fragmentaire, Alison Stones a retrouvé sa main dans d’autres manuscrits réalisés en France du Nord et en Flandre. Par exemple, un manuscrit conservé à Cambridge Trinity (11-22), on retrouve les singes en marges, les hybrides en forme d’antennes sur les côtés des lettrines, les petites architectures soignées en arrière-plan, les visages très expressifs encadrés de boucles de cheveux. Dans un Lancelot-Graal (Douce 215), on retrouve également une lettrine comportant une iconographie très inhabituelle qui est aussi présente dans l’antiphonaire : un chevalier (Lancelot dans le Douce 215), se confesse à un ermite dendrite (vivant dans un arbre). Ainsi, le style n’est pas l’unique moyen de retrouve la filiation des manuscrits, certaines iconographiques suffisamment rares le permettent aussi. En outre, ce Lancelot-Graal comporte également des éléments stylistiques qui permettent de le rapprocher de l’auteur de l’antiphonaire. Cet auteur était d’ailleurs non seulement talentueux, mais aussi à la pointe de l’innovation iconographique. Ainsi, on trouve un des premiers « homme de douleur » ou Ecce Homo sur un frontispice représentant donc le Christ aux plaies sortant de son tombeau et environné d’anges pleurants. Une Trinité dans une lettrine à une autre page est juxtaposée avec une marge dans laquelle prend place une scène courtoise ; Alison Stones émet l’hypothèse d’une rencontre entre l’amour spirituel de la Trinité et l’amour profane du couple.
         Quoi qu’il en soit, il est particulièrement intéressant de noter que ces antiphonaires et graduels des XIIe et XIIIe siècles ne comportent pratiquement pas d’images de musiciens. Les manuscrits les plus anciens sont même dépourvus de scènes historiées. Les initiales sont alors ornées de feuillages et de filigranes souvent en bichromie. Il faut attendre le Graduel de Saint-Denis pour voir apparaître des personnages en forme de lettre. Mais ce manuscrit ne contient encore que cinq initiales historiées sur quatorze. Il est d’ailleurs intéressant de noter que certaines de ces lettres ornées résument le mot qui n’est alors pas écrit en entier. L’idée de l’activation de la mémoire pour une image (qui peut être issue de la typographie) est alors renforcée. Le Codex Calixtinus Jacobus, comporte quelques portraits, notamment celui de saint Jacques (nom du manuscrit) dont l’iconographie est très proche de celle du Christ, comme une sorte d’appropriation de celle-ci. Les autres éléments décoratifs de ce codex sont des rinceaux de feuillages, parfois peuplés de dragons et des lettres filigranées ; cependant, certains ornements ont été ajoutés plus tard, au XIIe siècle. On dénombre douze manuscrits du Jacobus, parmi eux seulement quart contiennent de la notation musicale, notamment des chants de pèlerinage, mais pas d’images de performance musicale.
Codex Calixtinus Jacobus
Les premières images musicales apparaissent dans le Graduel de Saint-Denis au XIe s puis dans le Graduel à l’usage de Fontevrault au XIIIe s ; toutefois la majorité de son iconographie fait référence aux fêtes célébrées par la musique notée sur la page. La production est certainement parisienne et semble mettre en valeur la figure de la Vierge. Également réalisé à Paris, au milieu du XIIIe siècle, l’antiphonaire de Pierre de Medicis comporte en revanche quelques exemples d’une iconographie très particulière : la personnification de la musique. Celle-ci apparaît trois fois en trois registres superposés pour un frontispice composant ainsi la musique spirituelle, humaine et instrumentale. Mais ce manuscrit est exceptionnel à bien des égards. Il comporte aussi une initiale avec trois chantres, iconographie empruntée aux psaumes.
Il paraît ainsi évident que l’iconographie des graduels et des antiphonaires n’est pas musicale, même si les manuscrits comportent souvent de la notation musicale. Cette iconographie musicale est en revanche beaucoup plus fréquente dans les romans.

• Ouverture de la recherche (interventions de Frédéric Billiet, Isabelle Marchesin, Welleda Muller, Jean-Christophe Valière) : 

- Problématique de l’absence d’iconographie de la performance musicale dans des manuscrits comportant de la notation musicale. Une piste pourrait être ouverte avec l’idée que le chant prédominerait sur la musique instrumentale. En outre la notation est déjà une image du son.
- Alison Stones en conclu que la notation prédominait sur l’image dans les graduels et antiphonaires des XIIe et XIIIe siècles. Ce qui n’est pas le cas pour les bibles d’autels et les missels destinés à être vus de loin posés sur des lutrins, où c’est l’image qui prédomine par rapport au texte. Les psautiers sont encore des cas à part, puisqu’ils regorgent d’iconographie historiée et d’iconographie musicale qui plus est (voir à ce sujet G. Haseloff « Die Psalterillustration im 13. Jahrhunderts : Studien zur Geschichte der Buchmalerei iin England, Frankreich und der Niederlanden », 1938).
- La logique interne des manuscrits est rappelée : le texte était copié, puis la notation musicale (ce qui implique que le copiste ou l'organisateur du manuscrit connaissant les chants et savait la place qu’il fallait leur laisser sur la page), puis enfin les enluminures étaient réalisées. Ces manuscrits étaient avant tout des « outils » liturgiques.
- Le concept de musique allant au-delà de la performance est évoqué par Isabelle Marchesin. Celui-ci peut en effet s’exprimer dans les divers rapports que l’homme entretient avec ses semblables, mais aussi avec le divin ; les enjeux mathématiques dans l’idée de perfection des accords, par exemple, etc.
- Frédéric Billiet ajoute que le livre représente l’autorité : il permet d’activer la mémoire par sa simple ouverture. À l’origine, la première notation musicale n’était d’ailleurs qu’une indication de hauteur et non de note spécifique.
- Selon Isabelle Marchesin, ces ouvrages illustrés pourraient aussi permettre d’aller plus loin que la « simple » activation de la mémoire ; ils pourraient être des supports de méditation, engageant le corps et l’esprit ; des supports didactiques en quelque sorte, qui permettait une imprégnation du fidèle.
- Les jeux de regards semblent très importants avec les personnages des lettrines.
Welleda Muller